Le droit d'auteur des journalistes confisqué

De grandes dispositions législatives peuvent en cacher d'autres ; le législateur moderne nous a déjà habitué à ce genre de plaisanterie - rappelons-nous le réaménagement du droit d'auteur des agents publics, passé en toute discrétion dans la loi DADVSI du 1er août 2006.

Cette fois c'est la première loi HADOPI, du 12 juin 2009, que des spectateurs inattentifs ont cru annulée dans sa totalité par le Conseil constitutionnel, alors que ce dernier n'avait sanctionné qu'une grosse partie du dispositif mais qui fut bien promulguée le 12 juin 2009, et qui cachait en son sein une disposition passée inaperçue, même des journalistes les plus sérieux : le rapt pur et simple du droit d'exploitation desdits journalistes par leurs employeurs, les éditeurs de presse. En effet, pas un journaliste ne semble s'être ému de cette véritable main basse sur leurs droits d'auteur sans compensation financière. Seul le syndicat national des journalistes CGT a protesté (voir sur le site ACRIMED le communiqué du 7 avril "Albanel et Kert aux ordres des patrons de presse", puis l'article du 30 avril sur ce même média "Hadopi contre le droit d’auteur des journalistes".

À croire que les journalistes qui suivent les lois n'épluchent pas les textes, mais se contentent des communiqués lénifiants des pouvoirs publics. Ce fut, semble-t-il, le sentiment de bien des internautes lorsque, le 22 septembre, un journaliste dans la grande presse (Boris Manenti dans le Nouvel Observateur) monte enfin au créneau, avec quelque retard, hélas, sous le titre "Hadopi : l'avenir des journalistes menacé ?" Parmi les 64 commentaires de lecteurs qui suivent l'article, la plupart constituent une volée de bois vert à l'encontre de cette corporation. Nous n'en extrayons que la plus évidente - et une des plus courtoises - : "Si les journalistes avaient lu la loi plutôt que relayer les communiqués de presse, peut-être qu'on n'en serait pas là..." Il ne nous appartient pas de jeter le discrédit sur une profession prise dans son ensemble ; comme partout, il est d'excellents professionnels, qui souvent se plaignent du manque de liberté et de temps pour pouvoir exercer leur métier sérieusement.

Toujours est-il que les éditeurs de presse se sont fait voter une disposition qui leur permet de disposer, sans compensation financière, de l'intégralité des droits d'exploitation des journalistes. Pour un non-initié au droit d'auteur, la mesure peut paraître logique, mais elle constitue une entorse au droit d'auteur, une violation d'un des droits de l'homme les plus sacrés, et bien sûr une magnifique régression sociale - à une époque où chacun veille soigneusement sur ses acquis sociaux.

Auparavant, à la suite de l'affaire ayant opposé Le Figaro à ses journalistes (Cour d'appel de Paris, 10 mai 2000), les éditeurs de presse rémunéraient par un salaire principal le droit de reproduire l'article du journaliste dans l'exemplaire papier du journal - exploitation principale, contractuellement cédée - et versaient une prime supplémentaire à ceux-ci en échange de leur droit d'exploiter les mêmes articles sur les sites web des journaux ainsi que dans les bases de données de presse. La loi nouvelle va donc permettre aux patrons de presse de faire des économies sur le dos de leurs journalistes.

Le principe du droit d'auteur est que celui-ci reste toujours propriétaire de son œuvre, même s'il est salarié ou agents public (article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle). Le droit d'auteur des agents publics a du reste été très bien aménagé par la loi DADVSI cité plus haut.

La propriété intellectuelle est une propriété, déclarée comme inviolable et sacrée par l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Mais sans doute est-il indécent d'oser rappeler une telle évidence ; apparemment plus personne n'ose aujourd'hui évoquer ce texte fondateur de la République qui - rappelons-le - figure dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui fonde l'actuelle Vème République. Cette propriété est également garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1950 (Protocole 1 art. 1) qui interdit aussi l’abus de droit (art.17) et par la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU du 10 décembre 1948 (art.17) qui protège aussi directement le droit d’auteur (art.27).

Curieusement, nul n'a songé à saisir le Conseil constitutionnel sur cette énormité. Mais force est de constater qu'une telle décision pourrait très bien être déférée devant la Cour européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

En savoir plus :

La section "Droit d'exploitation des œuvres des journalistes" dans le code de la propriété intellectuelle sur Légifrance : www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idArticle=LEGIARTI...

Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789, annexée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : art.17 : www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-consti...

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe, 4 novembre 1950 : Protocole 1 art.1er : conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/009.htm et art.17 : conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/005.htm

Déclaration universelle des Droits de l’homme de l’ONU, art. 17 :
www.un.org/fr/documents/udhr/#a17  et art. 27 : www.un.org/fr/documents/udhr/#a27

Nous renvoyons également à notre article plus long et plus circonstancié paru dans Archimag du mois de novembre : "Droit d'auteur : Comment les journalistes se sont fait piéger" qui ne saurait tarder à être mis en ligne sur le site de cette revue partenaire des Infostratèges : www.archimag.com.

Didier FROCHOT