Droit et fonction documentaire – 10 : Le recadrage des images

Nous continuons l’exploration des activités documentaires et d’information à la lumière du droit, spécialement du droit d’auteur. Cette fois-ci nous nous penchons sur le recadrage des images. Nous n’évoquons donc pas les questions de droits à l’image (des personnes ou des biens sur les images, traitées par ailleurs — voir ci-dessous).

Un pré-requis : disposer des droits pour exploiter l’image

Avant d’examiner la retouche de l’image, il faut d’abord supposer que celui qui va retoucher cette image en vue de l’exploiter dispose bien du bon périmètre d’exploitation légalement cédé par l’auteur ou par un intermédiaire légitime. Nous renvoyons pour ce faire à nos publications sur les actes de cession de droit d’auteur et sur la bonne gestion juridique d’une photothèque (voir références ci-dessous). On suppose donc que l’exploitant est bien investi des droits d’exploitation qui conviennent.

Analyse juridique du recadrage d’une image

Lorsqu’on recadre une image, on recoupe celle-ci dans son ensemble pour n’en garder qu’une partie. Il s’agit donc, incontestablement, de modifier l’œuvre de l’auteur, ou, pour être juridiquement plus précis, de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre qui constitue un des droits moraux de l’auteur.

S’il ne s’agit que de recadrer dans le but de rétablir l’horizontalité d’une photo qui serait légèrement de travers, sans rogner significativement sur l’ensemble de celle-ci, il y a certes retouche, donc modification de l’image, mais il n’est pas certain que le droit moral soit pour autant atteint.

Mais s’il s’agit de privilégier une zone de la photo plus intéressante que les autres aux yeux de l’exploitant et de restreindre celle-ci à cette zone, cela porte évidemment atteinte à l’œuvre elle-même dont l’originalité est en grande partie constituée par le choix du cadrage par le photographe.

Nous sommes donc face au droit exclusif de l’auteur sur son œuvre, et à son droit moral de surcroît, droit inaliénable en principe puisqu’il s’agit d’un attribut de la personnalité de l’auteur : l’auteur peut lui seul modifier son œuvre, ou accepter les modifications qu’on lui propose.

Solution pratique

Plusieurs cas de figure se présentent.

Image sous licence creative commons autorisant la modification de l’œuvre

Si l’image est publiée sous l’une des licences creative commons qui autorisent la modification de l’œuvre, il est bien sûr tout à fait possible de bénéficier de cette autorisation pour la retoucher de quelque manière que ce soit, donc de la recadrer.

Image sous régime classique de droit d’auteur

En pareil cas, il convient d’agir de deux manières possibles :

  • On demande à l’auteur son accord pour chaque recadrage envisagé. Précisions que selon la volonté de l’auteur, ce pourra être la seule possibilité, l’auteur tenant à contrôler tout recadrage sur ses œuvres.
  • On prévoit la possibilité de recadrage dans les clauses du contrat de cession de droits d’exploitation qui doit toujours et obligatoirement être signé par l’auteur.

Cette clause appelle quelques observations.

  • Le droit à l’intégrité de l’œuvre est un droit moral, nous venons de le signaler, droit inaliénable. Il est donc impossible de le céder dans un contrat, avec des droits d’exploitation. Mais la doctrine et surtout la jurisprudence admettent que l’auteur puisse, non pas céder ce type de droit, mais y renoncer ponctuellement et sous certaines conditions, par exemple dans le cadre d’une relation contractuelle, visant quelques-unes de ses œuvres.
    C’est d’ailleurs salutaire car sinon, des professions entières ne pourraient plus pratiquer leurs activités s’ils restaient soumis à l’extrême protection de la loi sur le droit d’auteur qui, rappelons-le, n’a pas du tout été conçue pour les fonctions qu’on lui fait jouer aujourd’hui dans notre société de l’information et de l’image.
  • Il est donc tout à fait envisageable d’inclure dans un contrat de cession de droits d’exploitation une clause selon laquelle l’auteur accepte par avance que les photos sur lesquelles il cède des droits d’exploitation puissent être recadrées pour des raisons d’intérêt documentaire.

En savoir plus

Notre fiche pratique sur Le droit de l’image
Notre article sur La gestion des droits de l’image
Notre fiche sur Les actes de cession de droit d’auteur
Notre actualité-article du 23 août 2012 : Pour une photothèque juridiquement bien gérée
Notre présentation des Licences creative commons, dans notre Dossier spécial « Libre »

Didier FROCHOT