E-réputation et droit à l’oubli : vers un nouveau regard juridique sur Internet

Il n’est pas impossible que l’écueil de l’e-réputation (cyber- ou web-réputation, ou simplement réputation numérique) ne soit le révélateur, le cristallisateur, d’une nouvelle prise de conscience de certaines dimensions de l’Internet.

Alors que le G29 publie ses lignes directrices tant attendues sur l’interprétation à donner à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 mai dernier, rappelant l’existence d’un droit à l’oubli (voir notre actualité d’hier sur notre blog spécialisé votre-reputation.com), se dessine peu à peu un nouveau regard, une nouvelle prise de conscience du phénomène Internet sous l’angle juridique, c’est-à-dire sous l’angle des garde-fous et autres règles qui s’imposent aux acteurs économiques et aux êtres humains dans la plupart des pays du monde pour garantir à la fois des droits, des devoirs et des libertés.

L’internet, nouveau territoire pour les juristes

Il est connu que lorsque l’Internet a fait irruption sur l’ensemble de la planète, c’est-à-dire lors de l’émergence du Web, dans les années 1993-95, les juristes se sont jetés à la fois goulument et maladroitement sur ces nouveaux territoires à étudier, observer et règlementer. Pour la première fois depuis des siècles, de nouvelles frontières, pour reprendre l’expression devenue mythique de John F. Kennedy, se dessinaient et on trouvait de nouveaux objets sur lesquels faire porter le droit.

Enjeu passionnant tout autant que risqué. C’est dans ce contexte que se cherchent peu à peu et tâtonnent encore beaucoup nos systèmes juridiques de par le monde, face à ce phénomène nouveau.
Il faut être humble est admettre qu’on n’a pas forcément tout de suite bien su lire les phénomènes et partant y appliquer les bonnes analyses. Le cas du prétendu statut juridique du lien hypertexte en est l’exemple emblématique (voir lien ci-dessous).

Force est de constater que, même armé d’une solide connaissance de la technique du Web, qui manquait et manque encore à beaucoup de juristes, il était difficile de tout appréhender clairement.

Les premiers jalons d’un nouveau regard

Nos missions d'e-réputation ont sans doute été l’un des aiguillons qui ont amené cette nouvelle perception du phénomène Internet, l’émergence d’évidences flagrantes là où, l'instant d'avant, rien n’apparaissait encore…
Ainsi ce paradoxe de l’anonymisation des décisions de justice que nous avons dénoncé relativement tôt, dans nos missions de nettoyage sur le net, mais aussi publiquement(voir lien ci-dessous).

La Cnil, comme d’autres autorités de protection des données personnelles dans le monde, a recommandé, dès l’émergence des sites d’information juridique, l’anonymisation des noms des parties aux procès lorsque les décisions sont publiées sur le net, recommandation suivie par Légifrance et tous les autres sites qui publient de la jurisprudence (Délibération de la Cnil n°01-057 du 29 novembre 2001).
En revanche, la presse ne s’est jamais privée, au nom du droit à l’information du public, de rendre compte des affaires judiciaires en nommant les personnes concernées, simples suspectes, condamnées ou victimes.
Tant que ces informations restaient circonscrites à une communication immédiate dans un but d’information d’actualité, dans la presse papier ou audiovisuelle, tout allait bien puisque, au bout d’un certain temps, l’oubli se faisait naturellement. Il fallait toute la persévérance d’un chercheur ou d’un historien pour exhumer des archives des affaires oubliées depuis longtemps.
Mais il en va tout autrement lorsque ces mêmes informations sont accessibles sur des sites de presse en ligne, et surtout — degré supplémentaire mis au jour par la CJUE — dans les résultats réunis par des moteurs de recherche permettant en quelques clics de reconstituer tout le passé d’un individu, y compris ses démêlés judiciaires parfois vieux de dizaines d’années.

Voilà pourquoi nous avons dénoncé ce qui prend aujourd’hui la forme d’une double peine inacceptable : une personne condamnée et ayant payé son tribut à la société en purgeant sa peine, continue d’être flétrie et poursuivie par le souvenir en ligne de ses actes. Pire encore, sans aucun discernement, la personne poursuivie à tort sera elle aussi flétrie et poursuivie par les simples soupçons de la justice dont la presse aura rendu compte.

L’arrêt de la CJUE : un nouveau jalon

Cette dénonciation que nous avons clamée voici déjà 2 ans, fait partie de ces mises au jour des incohérences du droit face à l’Internet.
La CJUE vient de faire émerger une réalité nouvelle qui éclaire notre raisonnement sous un jour encore plus précis : les moteurs de recherche sont des agrégateurs d’information qui à ce titre sont responsables des traitements de données personnelles qu’ils réalisent en regroupant, sous un même nom, toutes les informations dont leurs bases disposent sur la personne. Cet immense recoupement de données personnelles, est réglementé par la loi, comme tout autre traitement de données de ce type.
En d’autres termes, les moteurs de recherche fournissent un produit fini spécifique, distinct des contenus épars sur les divers sites sur Internet.
En effet, pour reprendre notre exemple, si l’internaute devait faire le tour de tous les sites de presse du monde pour fouiller dans leurs archives, le risque de retrouver en quelques instants tout ce qui concerne une personne, serait minimisé et réservé à quelques accros de la recherche. Les moteurs de recherche, par leur puissance de traitement informatique, permettent les recoupements dont les lois de protection des données règlementent précisément la pratique. Il était donc logique d’aboutir à l’excellente décision de la CJUE en mai dernier.

Aller plus loin sur ces nouvelles analyses

Mais si l’on va au bout de ces raisonnements juridiques, sur ce seul terrain de la double peine paradoxale subie par une personne qui aurait été jadis condamnée, dont la condamnation serait anonymisée mais dont on trouverait encore tous les échos du procès nommément détaillés sur le net, ne devrait-on tout simplement pas voir s’appliquer le droit à l’oubli numérique également sur les sites sources, y compris les sites de presse ?

On voit tout de suite que deux logiques de protection juridique s’affrontent :

  • La protection de la personne ;
  • Celle de l’accès à l’information.

C’est sur ce terrain que la CJUE s’est permis d’innover en reconnaissant par principe la primauté des droits fondamentaux de l’individu sur le droit à l’information, sauf exceptions.

Un nouveau regard en constante évolution

Nous ne sommes là bien sûr qu’au début de ce nouveau regard juridique sur Internet qui fait que, de démunis qu’on a pu être face à des phénomènes nouveaux, on passe tout doucement à une application plus pertinente et plus affinée du droit.

Sur ce terrain, l’arrêt de la CJUE et les récentes interprétations du G29 tracent la voie d’une remise en cause de nos grilles de lecture juridique d’Internet.

En savoir plus

Notre article sur La question juridique des liens hypertextes, 3 décembre 2005
Notre actualité E-réputation – anonymisation ou non : un paradoxe médiatique, 6 novembre 2012
Voir notre communiqué de presse du 15 juillet 2014 : E-réputation : Les Infostratèges prennent position sur l’application du droit à l’oubli par Google qui renvoie à tous nos articles publiés sur l'arrêt de la CJUE.

Au service de votre réputation

Voir notre blog spécialisé sur l’e-réputation : www.votre-reputation.com
Et spécialement la rubrique Particuliers : www.votre-reputation.com/particuliers/

Didier FROCHOT