Le droit des bases de données

Droit applicable

Directive du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
Loi du 1er juillet 1998, transposant la directive, intégrée au code de la propriété intellectuelle (les articles cités y renvoient, sauf mention spéciale).

Notion juridique de base de données

Au sens juridique, le terme de base de données couvre des réalités plus vastes qu'au sens informatique. L'art. L.112-3 al.2 précise : "On entend par base de données un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen". De sorte que toute collection de données ou d'autres objets, dès lors qu'ils sont individuellement accessibles et qu'il y a disposition systématique ou méthodique de ceux-ci, constitue une base de données, quand bien même l'informatique n'interviendrait pas. Il en est ainsi des répertoires d'adresses, des dictionnaires et encyclopédies de toutes natures, y compris édités sur papier. Il en est de même de tout site Internet, même s'il est "statique" et n'est donc pas constitué sous forme d'une "base de données" au sens informatique du terme. Il en est de même de la disposition des ouvrages dans une bibliothèque, dès lors que celle-ci est systématique ou méthodique, ce qui est en général préférable…, ou encore des objets exposés dans un musée. Terminons sur ces précisions en signalant que l'ancienne distinction entre base et banque, fruit de multiples acceptions, a disparu depuis l'uniformisation par la directive.

Des droits multiples en présence

La constitution d'une base de données peut mettre en œuvre diverses couches de droit. Il convient de bien s'y retrouver dans ces divers droits.
D'une part, les éléments intégrés dans la base – les données – peuvent donner prise à certains droits qu'il convient de respecter. D'autre part, la constitution de la base elle-même est objet de droits d'auteur qui appartiennent à ceux qui l'ont constituée. Enfin, les producteurs bénéficient d'un droit voisin permettant d'amortir leur investissement.

Les éléments intégrés dans la base

Une base de données peut ne réunir que des "données brutes", ne donnant prise à aucun droit. Ce sera le cas de chiffres-clé de l'économie, de données météorologiques, géographiques ou boursières. Toutes ces données ne sont pas protégées et relèvent de l'information, libre par nature, mais c'est leur mise en collection qui pourra justifier la naissance du droit des producteurs de base de données évoqué plus loin.
La base peut aussi intégrer des informations qui sont réglementées à un titre ou à un autre. Il peut s'agir notamment de données à caractère personnel, soumises à la loi Informatique, fichiers et libertés ou de données à caractère confidentiel, soumise au secret professionnel, ou encore couvertes par un secret de fabrique. Dans ces cas, il conviendra de respecter les règles en question et veiller au respect des limites de communication de ces données.
Enfin, des "œuvres" peuvent se trouver intégrées dans la base, c'est-à-dire qu'il s'agit de biens propriété d'auteurs, sans l'accord desquels l'intégration dans la base – qui constitue une exploitation du droit d'auteur – n'est pas possible, sauf les rares exceptions habituelles telles que la courte citation pour les textes. Il faut donc l'accord des auteurs pour intégrer leurs œuvres dans une base de données. La direction du Figaro l'a appris à ses dépens dans une affaire l'ayant opposée à ses journalistes. Suite à la mise en ligne des archives du journal, les journalistes ont assigné la direction en justice, au motif qu'ils n'avaient pas donné leur accord pour cette publication. Même salariés, l'auteur reste propriétaire de son œuvre. La Cour d'appel de Paris a constaté que le salaire versé aux journalistes rémunérait exclusivement le droit de reproduction dans l'exemplaire papier du jour, mais pas au-delà. La direction aurait donc dû solliciter l'accord des auteurs (Paris 10 mai 2000).

La constitution de la base elle-même

Dès qu'il y a choix ou disposition des matières, le droit d'auteur s'applique à toute création intellectuelle (art.  L.112-3 al. 1er). La personne qui choisit les données à intégrer dans une base est donc auteur de ce choix. Et celle qui opère la disposition de celles-ci en est l'auteur. On voit donc que dans la constitution d'une base documentaire classique, les professionnels qui choisissent les documents à intégrer dans la base sont coauteurs de celle-ci (et non des documents choisis) tandis que celui qui a créé la disposition de ces données, c'est-à-dire défini les champs, les masques de saisie et de consultation, etc. est lui aussi coauteur.
Même chose pour un site Internet. Hormis les auteurs de textes qui viennent alimenter le site (données intégrées), sont coauteurs du site, en tant que base de données, le rédacteur en chef qui choisit les documents à publier et le webmestre qui les dispose dans l'arborescence du site et dans leur mise en page.
On comprend donc qu'il peut y avoir pluralité, pour ne pas dire multiplicité, d'auteurs pour une même base de données. La constitution d'une base de données ne relevant pas de la programmation, il ne peut s'agir de logiciels, dont les droits d'exploitation seraient cédés à l'employeur. En conséquence, chaque coauteur de base de données conserve ses droits sur sa création, tant qu'il ne les a pas expressément cédés à son employeur. Cette règle, pleinement valable dans le privé, joue aussi sous les réserves qu'on sait aujourd'hui, pour les agents publics (cf. notre article sur ce sujet).

Le droit des producteurs

La nouveauté introduite par la directive sous le nom de droit sui generis (créé de lui-même), puis par la loi française sous le nom de droit des producteurs de bases de données, consiste à protéger l'investissement de la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements en vue de constituer une base de données. La loi reconnaît donc à cette personne – le plus souvent une personne morale, entreprise, association ou collectivité publique – un droit de protection analogue à celui de l'auteur sur son œuvre (art.L341-1), d'où le rattachement de ce statut à la catégorie des droits voisins.
Dès lors qu'il y a prise d'initiative ET de risque économique, le producteur bénéficie d'une protection sur la base de données dès lors que la constitution, la présentation ou la vérification de celle-ci atteste d'un investissement financier, matériel et humain substantiel (art.L341-1 al.1er). En clair il faut qu'il y ait un réel investissement et non un simple engagement de frais de fonctionnement. La loi est volontairement souple pour laisser aux juges le soin d'apprécier le caractère substantiel de cet investissement (voir notamment un jugement du TGI de Paris du 23 avril 2003).
Il s'agit d'un monopole d'exploitation permettant au producteur d'interdire toute extraction totale ou partielle et toute utilisation abusive de sa base. Comme en droit d'auteur, on retrouve quelques exceptions mais plus limitées. Ainsi, l'extraction d'une partie non substantielle de la base est licite, à l'image de la courte citation de l'œuvre d'auteur, mais la copie privée d'une base de données n'est autorisée que pour une base "non électronique" et cette copie ne peut être que partielle. En clair, il est interdit de capturer tout ou partie, par exemple, d'un site web, et s'agissant d'une base non électronique, il n'est possible de faire, par exemple, qu'une copie partielle d'un dictionnaire sur support papier…
Le but étant de protéger l'investissement, la durée est suffisamment longue pour permettre au producteur d'amortir celui-ci, mais pas trop longue pour l'obliger à innover. La protection expire donc 15 années civiles après celle de son achèvement ou de sa mise à disposition du public. La notion d'achèvement de la base doit s'entendre de la mise au point du modèle de base de données (création des tables, index, formulaires, etc.) mais la saisie ou la mise à jour de données est sans incidence sur cette notion. La durée est prorogée dès que le producteur effectue un nouvel investissement substantiel sur sa base. On peut ainsi considérer que la nouvelle version complètement remaniée d'un site web constitue un nouvel investissement justifiant d'un nouveau délai de protection.

|cc| Didier Frochot — mai 2007

Voir aussi :

Fiche pratique : Droit des producteurs de bases de données

Didier FROCHOT