Le statut juridique du résumé documentaire

A. Première analyse

1. Définition professionnelle

La confection d’un résumé documentaire consiste à identifier les principaux thèmes d’un texte (le plus souvent, un article de revue) pour en reformuler la substantifique moelle, dans le but d’indiquer au lecteur le contenu de l’œuvre ainsi condensée et lui permettre de décider de la lire ou l’en dissuader si elle ne s’avère pas pertinente pour lui. Il s’agit donc de présenter rapidement au lecteur un contenu intellectuel bâti sur les grandes lignes de pensée et d’information de l’auteur.
L’opération qui aboutit à la rédaction d’un résumé consiste donc à identifier les idées et informations contenues dans l’œuvre de l’auteur et de les reformuler avec un agencement de mots et de phrases qui constitue l’apport intellectuel du rédacteur du résumé.

2. Analyses juridiques

Les idées et informations étant libres, le rédacteur n’emprunte donc rien de ce qui est protégé par le droit d’auteur dans l’œuvre résumée.
À ce niveau, il convient d’affiner l’analyse afin de prendre en compte diverses pratiques.
1. Résumé par courtes citations : Pour aller vite, le rédacteur reprend et réagence à sa guise de courts extraits de l’œuvre (c’était le cas du travail réalisé par la société Microfor dans l’affaire clé sur ce sujet), il peut s’agir de courtes citations, à condition qu’il y ait une œuvre citante qui justifie celles-ci (art. L.122-5 3° a, du code de la propriété intellectuelle). Or, si le résumé s’intègre dans un bulletin bibliographique au sein d’une bibliographie, d’une base de données ou dans tout autre produit d’information, il y a bien œuvre d’information justifiant la présence desdites citations comme l’a confirmé la Cour de cassation dans le dernier arrêt Le Monde / Microfor – 30 octobre 1987).
2. Résumé rédigé : Le rédacteur reprend les idées et thèmes de l’article et le reformule avec des mots et des phrases qui sont de son cru. En ce cas, le résumé n’emprunte en rien à la partie protégée par le droit d’auteur puisqu’il est admis, dans tous les systèmes de droit au monde(1), que les idées et, partant, les informations, ne sont pas protégées. Ce type de résumé est donc libre.
3. Résumé critique : Dans ce cas, ce travail tombe dans l’exception connue sous le nom d’analyse dans la loi (art.  L.122-5 3° a, précité). Les analyses supposent nécessairement un jugement de valeur (2) : ce sont donc bien toutes les œuvres de critique qui sont visées, autant critique littéraire, artistique, musicale, que résumé critique. Ce type de résumé est aussi licite puisqu’il correspond à une exception au monopole d’exploitation de l’auteur. Mais rares sont les résumés critiques en documentation puisque précisément, la pratique professionnelle va dans le sens de la neutralité documentaire.
La rédaction de résumés documentaires jouit donc de la plus grande liberté. Et pourtant, d’aucuns voudraient subordonner celle-ci à  l’autorisation de l’auteur…

B. La jurisprudence Microfor / Le Monde

Pour bien comprendre cette étrange thèse, il faut revenir à l’affaire mythique du monde documentaire, qui a opposés, dix ans durant, le journal Le Monde à la société Microfor, entre 1978 et fin 1987.
La société québécoise Microfor s’installe en France et produit une base de données dont est issu un bulletin bibliographique nommé France Actualités. Ce produit présentait, sous le nom de résumés, des agencements de courtes citations des articles de divers organes de presse, dont Le Monde et Le Monde diplomatique. Estimant qu’une telle pratique dénaturait parfois le sens des articles, et considérant par ailleurs que l’indexation réalisée – sous forme de mots-clés décrivant les grands thèmes traités – était tout aussi discutable, Le Monde se lança dans une instance judiciaire qui va durer près de 10 ans, pour la beauté du droit, les parties s’étant accordées sur un nouveau produit avec un intéressement financier du Monde, au bout de deux ans…
L’affaire passa ainsi par toutes les voies de recours juridictionnels possibles en France, avec deux arrêts de la Cour de cassation, l’un en 1983, l’autre en 1987, le dernier mettant un point final à l’affaire, puisque la cour d’appel de renvoi doit dans ce cas entériner la solution préconisée par la haute cour (voir chronologie de l'affaire). Nous nous arrêtons ici sur les deux arrêts de cassation, uniquement sur le terrain qui nous concerne ici, celui des résumés. Mais cette jurisprudence est de bien plus grande ampleur. Le professeur Jérôme Huet n’hésita pas à parler de liberté documentaire, à l’issue du premier arrêt de cassation. (voir nos deux articles de l'époque).

1. Le 1er arrêt de cassation

Il est bon de revenir au texte original afin de soupeser l'exact dessein de la Cour de cassation. Dans l'arrêt rendu le 9 novembre 1983, la Cour définit le résumé documentaire licite comme « l'analyse purement signalétique réalisée dans un but documentaire, exclusive d'un exposé substantiel du contenu de l'oeuvre, et ne permettant pas au lecteur de se dispenser de recourir à cette oeuvre elle-même ».

Analyse professionnelle : les divers types de résumés
Cette formulation nous éclaire particulièrement. Il existe deux principaux types de résumé en documentation : le résumé indicatif ou signalétique ; le résumé informatif. Le premier indique de quoi traite l’article, le second livre ce que dit l’article sur les sujets abordés. À lire la formulation de la Cour de cassation, on pourrait en déduire que le résumé indicatif est libre et le résumé informatif illicite. 

Statut juridique de chaque type de résumé
Le résumé indicatif est effectivement exclusif d’un exposé substantiel du contenu de l’œuvre. Il entre parfaitement dans l’hypothèse de l’analyse purement signalétique réalisée dans un but documentaire, décrite par la Cour. On retrouve même le qualificatif de « signalétique », parfois donné à ce type de résumé.
Le résumé informatif constitue-t-il un exposé substantiel du contenu de l’œuvre ? Rien n’est moins sûr. Qu’entend-on par exposé substantiel ? Ne s’agirait-il pas de la classique contraction de texte, exercice littéraire consistant à jouer les réducteurs de texte, et à condenser les éléments littéraires d’une œuvre. On peut alors considérer qu’il y a reprise de l’apport protégé de l’auteur en ce sens qu’est repris notamment le même plan détaillé. Or, le scénario ou le plan d’une œuvre sont des apports protégés par le droit d’auteur, au même titre que l’œuvre elle-même.
Mais dans le cadre des résumés documentaires, même informatifs, c’est le but documentaire qui est poursuivi et non la paraphrase littéraire. C’est avant tout l’identification des informations et idées exprimées qui sont mises en évidence et non la construction, l’apport littéraire.
Rappelons à ce sujet que le droit d’auteur était conçu à l’origine pour protéger des œuvres littéraires et artistiques. C’est par extension qu’il protège aujourd’hui des œuvres d’information. Et nous avons déjà dit combien ce droit n’était pas adapté : nous touchons ici un des effets de son inadaptation.
En conséquence, rien ne prouve que la Cour de cassation ait entendu interdire quelque résumé documentaire que ce soit. Bien au contraire, rappelons que la juridiction suprême a délibérément ouvert un espace de liberté documentaire par cette jurisprudence. Elle n’hésita pas à écarter d’emblée l’argument – qui eut sans doute été recevable – de l’atteinte au droit moral pour dénaturation du sens des articles, afin de mieux ouvrir les portes d’un statut juridique du travail documentaire.

La naissance d'un critère fou
Pour la petite histoire, c’est à partir de cet arrêt que s’est forgé dans l’esprit des tenants de l’orthodoxie du droit d’auteur, le critère de non substituabilité du résumé. Il va plomber le débat jusqu’à aujourd’hui. On retrouve la formulation précitée de la Cour un peu partout, notamment dans la charte du GESTE et dans les publications du CFC.
Pire : la toute première mouture de la proposition de directive sur la protection juridique des bases de données se penchait sur les contenus possibles des bases de données et reprenait ce fameux critère : l’école de droit d’auteur français avait contaminé la Communauté européenne ! Fort heureusement, ce critère du résumé non substituable fut balayé d’un revers de main par les experts européens, sous le regard amusé et convaincu de la responsable de cette proposition de directive. La 2ème mouture de la proposition avait éliminé toute allusion aux contenus. Les instances bruxelloises sont d’ailleurs beaucoup plus favorables à la circulation de l’information que les administrations et lobbies français ; les actuelles contorsions autour de la transposition de la directive DADVSI l’illustrent parfaitement.
Mais le fameux critère était lancé dès 1983 et allait désormais vivre sa vie propre, alors même que la Cour de cassation le mettait en sommeil dans son arrêt de 1987, de manière générale beaucoup moins provocateur et plus raisonné que celui de 1983, lequel avait notamment pris des positions un peu excessives sur le plan des courtes citations (cf. nos articles sur l'affaire).

2. L'arrêt de l'assemblée plénière

Le fantôme du critère
Lors de son dernier passage devant la Cour de cassation, devant l'Assemblé plénière, le critère définissant le résumé fut lui-même... résumé. L'arrêt rendu le 30 octobre 1987 reprend d'abord les constatations des juges d'appel sous les termes de « “ résumés “, constitués uniquement de courtes citations de l'oeuvre ne dispensant pas le lecteur de recourir à celle-ci ». Notons qu'il ne s'agit là que d'une reformulation de l'arrêt d'appel, qui permet à la Cour de cassation d'affirmer que les courtes citations insérées dans le produit documentaire sont justifiées par le fait que « que cet ensemble avait le caractère d'une oeuvre d'information ». Ce rappel du critère n'engage donc pas la Cour de cassation.

Une mise en sommeil subreptice du critère
La solution suggérée par la Cour est édifiante : elle affirme que « cet index était, par nature, exclusif d'un exposé complet du contenu de l'œuvre ». Il apparaît donc que la seule exigence de la Cour est, non plus la non substituabilité, mais la simple exclusion d'un exposé complet de l'œuvre. La différence est d'importance. Il ne s'agit donc pas de pratiquer - comme nous l'évoquions plus haut - de la contraction de texte littéraire, mais bien de faire œuvre d'information (la nature même de l'index). Il est étonnant que la majorité des juristes ne se soit pas aperçu de ce retour en arrière de la Cour de cassation. On s'est aperçu à l'époque que le fondement de la justification des courtes citations était singulièrement rectifié par l'Assemblée plénière, mais personne n'a relevé que la même assemblée avait sonné le glas du critère de non substituabilité qui, détaché de son créateur, semble avoir la vie dure... « et court encore » comme eût écrit Mme de Sévigné !

Un arrêt de principe dépassé ?
Au surplus, la question se pose souvent de savoir si cette jurisprudence est toujours de droit positif, c’est-à-dire toujours d’actualité, ou si au contraire il a vécu. Il est certain que sa portée essentielle : reconnaître un droit d’auteur sur les bases de données, est largement dépassé, la directive et la loi subséquente du 1er Juillet 1998 ayant entériné légalement la question. Mais près de 20 ans après, est-il bien raisonnable de vouloir camper sur une décision prise dans les balbutiements de la naissante société de l’information, alors que les perspectives socio-économiques – sainement entrevues par la Cour à l’époque – ont considérablement évolué ?

D. La charte du GESTE

Le critère de non substituabilité court toujours. Et bien sûr, les acteurs économiques qui ont un intérêt à le voir vivre le maintiennent en vie, quitte à pratiquer l’acharnement thérapeutique… C’est le cas du GESTE (Groupement des éditeurs de services en ligne) qui le reprend dans le cadre de positions pour le moins intégristes.

1. Un vœu pieux...

Qu'on en juge : « Le résumé d'un article est soumis à l'autorisation préalable de l'auteur ou de son ayant-droit. Il doit nécessairement mentionner le nom de l'auteur et de la source. Il faut toutefois veiller à ce qu'il ne porte pas concurrence à la publication ou au site à partir duquel est réalisé ce résumé, ni à son auteur. Il doit donc être suffisamment concis et éloigné du texte original pour ne pas être considéré comme une contrefaçon ».

2. ...Sans fondement sérieux

La subordination du résumé à l'accord de l'auteur de l'œuvre première ne tient sur aucun fondement juridique. Formulé comme il l'est, il est même profondément choquant : alors qu'il est permis de recopier complètement un article dans le cadre de l'usage privé du copiste, on n'aurait pas le droit de le résumer... même pour un usage privé. Car on aura remarqué que la destination du résumé n'est pas prise en compte pour formuler l'interdit.

3. ... Et même hérétique

Cette exigence va bien au-delà de tout ce qui a été limité par l'analyse juridique de la Cour de cassation. Il n'existe aucun fondement pour interdire la réalisation. Il semble donc bien qu'une telle formulation soit tout simplement attentatoire à la liberté de chacun. Or, lorsque le titulaire d'un droit en use au-delà de la protection qui lui est ainsi conférée, cela s'appelle de l'abus de droit.
On aurait d'une part l'obligation de demander l'accord, mais de surcroît il faudrait s'interdire de ne pas porter concurrence à l'œuvre résumée ni à l'organe citant, ni à l'auteur... Le terme de concurrence introduit au droit de la concurrence déloyale. Le rédacteur de résumé ferait ainsi de la concurrence déloyale à l'article publié, et partant, à l'organe de presse ainsi menacé.

4. Restons sérieux...

De quoi s'agit-il en documentation ? D'informer rapidement les usagers sur les contenus d'articles qu'il leur est loisible d'aller lire s'ils les considèrent comme pertinents, et de leur éviter de perdre leur temps si l'article n'entre pas dans leur champ de recherche. Penchons-nous donc un instant sur le terrible préjudice que provoquerait – aux dires des étireurs – cette pratique professionnelle.

Du côte de la presse scientifique ou d'information
S'agissant d'articles d'information scientifique ou professionnelle, qui pourra soutenir qu'un résumé, même très bien réalisé puisse dispenser un lecteur intelligent d'aller lire l'œuvre d'origine s'il constate, au vu du résumé, que l'article est pertinent ? Va-t-on soutenir que les usagers sont assez stupides et bornés pour se contenter d'un résumé qui forcément réduit la pensée et les arguments de l'auteur ?

Dans la presse d'information généraliste
S’agissant d’articles de presse d’information, doit-on considérer que le résumé suffit à rendre la substantifique moelle de l’œuvre, au point que le lecteur puisse se dispenser de lire celle-ci ? Faut-il dans ce cas déduire que l’article d’origine est tellement délayé que le seul résumé suffit pour en apprendre autant ? Faut-il constater que la plupart des articles de presse sont le plus souvent des reproductions plus ou moins retravaillées – faute de temps – de dépêches d’agences ?
Dans ce cas, plutôt que d’interdire les résumés documentaires, peut-être faut-il suggérer aux organes de presse d’apporter davantage de plus-value intellectuelle à leurs articles. Les journalistes sérieux sont les premiers à se plaindre des cadences de production qui ne leur permettent plus d’apporter un réel contenu pensé. La meilleure parade contre la concurrence des résumés semble donc bien être l’amélioration de la qualité éditoriale de la presse d’information généraliste. Une pièce de plus à verser au dossier de la désaffection de plus en plus problématique de la presse papier…

E. Conclusion

Il semble bien que la pratique professionnelle du résumé n'ait rien à craindre des ukases et autres anathèmes du monde de l'édition. Pour peu qu'on garde la ligne déontologique du métier : informer et non paraphraser, les professionnels continueront à œuvre dans le sens de l'accès à l'information et à la connaissance, lequel est - rappelons-le - une liberté essentielle de l'homme garantie par toutes les déclarations de droits de l'homme du monde.

|cc| Didier Frochot - mars 2006 - révisé en juin 2010

Voir aussi :

Nos deux articles de l'époque, l'un pour Documentaliste et l'autre, plus juridique, pour Droit et technologies nouvelles.
Chronologie et références : Documents de référence sur l'affaire Microfor / Le Monde.
Nos fiches techniques : Résumés documentaires et Bulletins bibliographiques.

Notes :

1. Claude Colombet, Grands principes du droit d'auteur et des droits voisins dans le monde : approche de droit comparé - UNESCO . - 2ème édition - Paris : Litec, 1992, voir p.10.
2. Claude Colombet, Propriété littéraire et artistique et droits voisins. - Paris : Dalloz, 1999, § 231 ; André Bertrand, Le droit d'auteur et les droits voisins. - Paris : Dalloz, 1999, § 5.431.

Didier FROCHOT