Hadopi : Délit de faciès sur Internet ?

Par-delà tout le battage et les gesticulations médiatiques autour de la loi HADOPI, par-délà tout ce qui s'en dit, il importe de revenir à de justes appréciations de la loi et séparer le fantasme de la réalité de celle-ci.

Nous proposons ici quelques axes de démythification de ce projet de loi, après une lecture attentive de la dernière mouture, issue de la Commission mixte paritaire, c'est-à-dire telle qu'elle aurait due être votée si les députés de la majorité avaient été présents en séance en plus grand nombre.

Vous avez dit démocratie ?

À titre préliminaire, balayons tout de suite le slogan de "formidable victoire de la démocratie" brandi par certains opposants à la loi, suite au rejet de la loi : il n'y a pas de quoi chanter les louanges de la démocratie lorsque seule une trentaine de députés - sur 577 - sont dans l'hémicyle pour voter ou rejeter une loi. C'est un phénomène constant sous notre 5ème République et on peut le regretter.

HADOPI et délit de contrefaçon : deux réalités distinctes

Contrairement à ce que laisseraient croire les commentaires les plus courants, la loi HADOPI n'a rien à voir avec le délit de contrefaçon, destiné classiquement à punir toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle, dont le téléchargement illégal. Il n'y a pas de lien entre le dispositif HADOPI et cette nécessaire poursuite des pirates. De sorte que l'épithète de "loi anti-piratage" est largement abusive.

En réalité, la loi institue une sanction non pénale (le débat sur le thème de la "double peine" est une image) punissant la non-surveillance de sa connexion Internet. Peu importe que la contrefaçon soit prouvée et que des poursuites soient lancées sur ce terrain. C'est le fait de mal surveiller sa connexion qui peut être puni par une suspension d'abonnement.

HADOPI et identification des pirates

On pourrait imaginer une procédure tendant à mieux identifier les pirates pour mieux diligenter les poursuites pénales. Mais ce n'est pas ce que prévoit cette loi. Elle se borne à créer une autorité indépendante qui succèdera à celle chargée de veiller aux mesures techniques de protection (mesures présentées comme la panacée lors du vote de la loi DADVSI en 2006, aujourd'hui obsolètes). Cette Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) sera chargée d'identifier les titulaires d'abonnements à partir desquels des téléchargements illicites auraient transité.

Saisie par les agents assermentés des sociétés de gestion collective (SACEM et autres), chargées de défendre les intérêts des "titulaires de droits" (cache-sexe commode pour désigner les intermédiaires que sont les major companies), et qui auront repéré un téléchargement d'oeuvres qu'ils surveillent, l'HADOPI sera seule habilitée à demander au fournisseur d'accès Internet (FAI) l'identité de l'abonné à la connexion ayant vu passer ledit téléchargement.

Sanction sans faute pénale ou délit de faciès

Une fois identifié l'abonné, celui-ci "pourra" être averti par message avec accusé de réception qu'il a enfreint la loi, sans d'ailleurs qu'on lui précise ce qu'il a osé télécharger. En cas de réitération dans les 6 mois, (on ne peut parler de récidive puisqu'on n'est pas dans du droit pénal, mais dans de la "sanction" prononcée par une autorité indépendante), un nouvel avertissement sera envoyé. Et pour finir, le FAI recevra l'ordre de suspendre l'abonnement entre 2 mois et un an (d'où le nom de riposte graduée : il existe en principe 3 étapes).

Encore une fois, cette sanction n'a pour cause que la négligence supposée de l'abonné qui n'aura pas bien surveillé sa connexion. On ne cherche pas à savoir s'il a été lui-même piraté, ou si c'est lui personnellement ou un de ses proches qui est responsable du délit de contrefaçon. On coupera son abonnemernt sur le simple prétexte qu'il est responsable d'une connexion qui aurait vu passer un téléchargement...

De sorte que la sanction s'apparente au délit de faciès qui fait que certaines personnes sont interceptées sur leur seule apparence physique pour contrôle d'identité et retenus quelques heures par les forces de l'ordre, sans qu'on ait besoin de prouver qu'ils sont en situation irrégulière...

Un débat toujours riche sur le Net

Beaucoup d'autres failles peuvent se trouver dans cette loi, nous en avons nous-même signalées (voir ci-dessous nos autres actualités) et elle ne manque pas de détracteurs sur le Net pour les invoquer.

On le sait, la question reste de savoir si l'abonné devra continuer à payer l'abonnement pendant la supsension ("double peine") et c'est sans doute là-dessus que la loi peut changer lors de son retour au Parlement à la fin de ce mois (en principe le 29 avril).

En attendant, la mobilisation est grande contre la loi, y compris de la part de personnes qu'elle est censée protéger (voir notamment  http://pourlecinema.over-blog.fr/). De nombreux artistes se mobilisent contre elle, et quant à la pétition pro-HADOPI promue par le ministère de la culture, certains de ses "signataires" ont déclaré ne pas l'avoir signée...
www.erenumerique.fr/les_faux_petitionnaires_des_sou...

Voir le projet de loi en date du 20 avril, issu de la Commission mixte paritaire :
www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1618.asp

Voir une récente synthèse claire de la loi sur Le Point :
www.lepoint.fr/actualites-technologie-internet/2009-04-09/hadopi...

Lire sur le sujet, nos actualités :
3 novembre 2008 : Flux permanent sur la loi Hadopi
20 novembre 2008 : La riposte graduée pour les nuls
21 janvier 2009 : Main basse sur les droits d'auteur ?
13 mars 2009 : Citoyens sous surveillance : la loi Hadopi enflamme le monde internet
16 avril 2009 : Hadopi : les internautes francais sous surveillance

Didier FROCHOT