Droit d’auteur et contrat de travail : dissiper une (fausse) idée reçue

Il nous paraît utile de revenir sur un point particulier du droit d’auteur des salariés qui revient hélas encore trop souvent dans les contrats de travail, au mépris total de la législation :
la fameuse clause de cession de droits d’auteur du salarié à son employeur.

Nous avons consacré un article de fond sur Le droit d’auteur des salariés, sur ce site et ailleurs (notamment dans la revue professionnelle Archimag), et auquel nous renvoyons pour l’ensemble de cette question (voir lien ci-dessous).

Le principe de propriété intellectuelle sur ses propres créations

Il importe ici de rappeler avec force que l’auteur, propriétaire d’une œuvre, reste toujours la personne physique qui l’a créée. L’article L.111-1 al.3 du code de la propriété intellectuelle rappelle que l’existence d’un contrat de travail ("louage d’ouvrage" dans le jargon du législateur) n’emporte aucune dérogation au principe de propriété du créateur sur son œuvre reconnu par le premier alinéa du même texte.
Il s’ensuit qu’un salarié n’est en rien dépossédé de quelque droit que ce soit sur les créations intellectuelles réalisées dans le cadre de son contrat de travail, sous les réserves logiques qu’on peut déduire de la jurisprudence, notamment celle du Figaro.

La clause de cession de droits d’auteur du salarié

Pour contourner cet écueil et s’assurer la pleine maîtrise des créations intellectuelles relevant du droit d’auteur de leurs salariés, nombre d'employeurs n’ont pas hésité, et ce de longue date, à inclure dans les contrats de travail une clause aux termes de laquelle le salarié cède tous ses droits d’auteur à son employeur.

Il faut savoir que cette clause est nulle, et même le plus souvent, doublement nulle.

Prohibition de la cession globale des œuvres futures

Tout d’abord, une telle clause tombe sous le coup de l’article L.131-1 du code de la propriété intellectuelle, un des articles les plus courts de tout le code :
"La cession globale des œuvres future est nulle".

Par-delà l’ambiguïté de la rédaction de cet article (qui remonte à 1957), il convient de comprendre que le législateur a entendu mettre hors-la-loi la cession par un auteur de la globalité de ses œuvres à venir, c’est-à-dire celles qu’il pourrait être amené à créer, que ce soit dans un avenir défini (contrat à durée déterminée) ou indéfini (contrat à durée indéterminée), fût-ce dans l'exercice de ses missions. Une telle clause est donc "nulle et de nul effet", pour reprendre le jargon des juristes, ou encore "réputée non écrite" comme on le lit souvent dans les décisions de justice.

Les conditions de validité d’un acte de cession

Mais en outre, la clause est le plus souvent nulle parce qu’elle n'est pas conforme aux conditions de validité exigées pour la cession de droits d’exploitation par le même code.

En effet, très souvent, pour faire bref mais complet, la clause se borne à spécifier que le salarié "cède ses droits d’auteur", ou encore "tous ses droits d’exploitation", sans autre précision.

Or l’article L.131-3 al.1er du code dispose (nous le mettons en scène pour une lecture plus aisée) :
"La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que

  • chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession
  • et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité
    • quant à son étendue et à sa destination,
    • quant au lieu
    • et quant à la durée."

La jurisprudence reste pointilleuse sur le nécessaire cumul de toutes les conditions de validité énumérées par cet article.
Si l’une de ces conditions fait défaut, l’acte est considéré comme nul.

On le voit, les clauses qui se trouvent dans un grand nombre de contrats de travail sont sans aucun effet juridique, à ceci près que, l’employeur comme l’employé étant persuadés qu’elles ont une valeur, personne n’ose les contester.
C’est ainsi que se créent les idées reçues, par définition fausses….

Idem pour les agents publics

Il en est bien sûr de même pour les agents publics, mais sur ce terrain, la loi a soigneusement défini les contours du droit d’auteur des agents publics dans la loi du 1er août 2006.

En savoir plus

Voir notre article plus général sur Le droit d’auteur des salariés ;
Voir notre article sur Le droit d’auteur des agents publics ;
Voir aussi notre article sur Les actes de cession de droits d’auteur.

Didier FROCHOT