Droit au déréférencement planétaire : condamnation de Google à 100 000 € de sanction pécuniaire

La Cnil a rendu publique le 24 mars sa délibération du 10 mars condamnant la société Google Inc. à 100 000 € de sanction pécuniaire pour manquement à la loi Informatique, fichiers et libertés dans le cadre du déréférencement des données à caractère personnel demandé par les intéressés.

Rappel des épisodes précédents

Le 13 mai 2014, la Cours justice de l'Union européenne rendait un mémorable arrêt enjoignant au moteur de recherche Google — et donc à tous les autres moteurs — d'accepter de déréférencer les données susceptibles de porter atteinte aux droits des personnes ressortissantes de l'Union européenne (notre actualité du 16 mai 2014).
Très vite, le géant du net s'organise pour mettre en œuvre la décision de la CJUE. Un formulaire de requête en ligne est mis en place dans la foulée, initiative qui sera suivie par les autres grands moteurs Yahoo! et Bing.
Mais très vite aussi l'analyse faite de la décision par Google s'avère entachée d'un vice de raisonnement : la firme californienne considère que si déréférencement il doit y avoir pour satisfaire à la loi européenne (la directive 95/46/CE sur la protection des données à caractère personnel et les lois nationales transposant ce texte), ce ne peut être qu'au profit du territoire de l'Union européenne. En conséquence, Google va s'attacher à ne déréférencer les données demandées que sur les plateformes européennes du moteur (google.fr, google.be, etc.) mais jamais sur google.com qui est pourtant tout aussi accessible depuis tout pays de l'Union.
Nous avons très vite dénoncé ce vice d'analyse (notre actualité du 17 juin 2014).
Le 26 novembre 2014, le G29 (groupe de travail des homologues de la Cnil en Europe) publiait son interprétation de l'arrêt de la CJUE qui confirmait en tous points notre analyse et dénonciation d'un déréférencement abusivement restrictif (notre actualité du 9 décembre 2014).

On s'attendait alors à ce que quelqu'un fasse bouger les lignes.

Le bras de fer entre la Cnil et Google

C'est la présidente de la Cnil, Isabelle Falque-Pierrotin, également présidente du G29, qui a ouvert ce qui allait devenir un bras de fer et par-delà, un contentieux d'interprétation juridique d'assez haut vol. Nous citons ci-dessous des extraits de la délibération du 10 mars dernier pour retracer les principaux jalons du contentieux :
"La Commission nationale de l'informatique et des libertés (ci-après « CNIL » ou la « Commission») est régulièrement saisie par des internautes résidant en France contestant les refus de la société Google Inc. de faire droit à leur demande de déréférencement.
Dans le cadre de l'instruction de ces plaintes, la Commission a rappelé à la société, par lettre du 9 avril 2015, que pour être effectifs, les déréférencements ne devaient pas être limités aux seules extensions européennes de son moteur de recherche.
Par lettre du 24 avril 2015, la société a indiqué poursuivre ses réflexions sans apporter de modifications à son dispositif, le jugeant à même de garantir, en l'état, l'effectivité du droit au déréférencement.
En conséquence, la Présidente de la CNIL a adopté, le 21 mai 2015, une mise en demeure enjoignant à la société Google Inc. de procéder aux déréférencements sur toutes les extensions du nom de domaine de son moteur de recherche sous un délai de quinze jours.

[mise en demeure rendue publique le 12 juin nos actualités des 15 et 18 juin 2015]
(…)
Par lettre du 23 juin 2015, la société a sollicité l'octroi d'un délai complémentaire afin de mener à bien les analyses juridiques et techniques nécessaires [notre actualité du 13 juillet 2015]. Le 30 juin suivant, la Commission lui a accordé une prorogation de délai jusqu'au 31 juillet 2015.
Le 30 juillet 2015, la société a formé un recours gracieux auprès de la Présidente de la CNIL afin d'obtenir le retrait de la décision de mise en demeure et de la mesure de publicité associée. Ce recours a été rejeté par lettre du 16 septembre 2015, communiquée à l'établissement fiançais du responsable de traitement par lettre du 21 septembre suivant
[notre actualité du 25 septembre 2015].
En l'absence d'éléments de réponse de nature à attester d'une mise en conformité avec l'injonction visée par la mise en demeure dans le délai imparti, la Présidente de la Commissions décidé, le 25 septembre 2015, sur le fondement de l'article 46 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, d'engager une procédure de sanction à l'encontre de la société Google Inc. en désignant M. Philippe LEMOINE en qualité de rapporteur.
A l'issue de son instruction, celui-ci a notifié à la société, le 17 novembre 2015, un rapport détaillant les manquements à la loi Informatique et Libertés qu'il estimait constitués et sollicitant le prononcé d'une sanction pécuniaire publique.
La société a produit, le 18 janvier 2016, des observations écrites sur le rapport, réitérées oralement lors de la séance du 28 janvier 2016.
"

Nouvelle pirouette de Google pour contourner la loi européenne

Entre temps, début mars, un nouveau fait est intervenu sur lequel nous reviendrons : Google a modifié ses règles de déréférencement, laissant croire qu'il améliorait son dispositif alors qu'il le rendait encore plus restrictif, sous couvert d'innovation technique. Cet événement sera sans effet sur la décision de la Cnil, comme le souligne la délibération elle-même.

Le contentieux continue

La décision est donc tombée le 10 mars et a été rendue publique le 24. Google a annoncé son intention de faire appel de la décision de la Cnil. Rappelons que les recours contre les décisions d'une autorité administrative indépendante (AAI) telle que la Cnil sont portés devant le Conseil d'État.

Nous reviendrons sur les motifs de la décision qui sont pour la plupart sans surprise mais tout à fait emblématique du débat juridique.

En savoir plus

Communiqué de la Cnil du 24 mars :
www.cnil.fr/fr/droit-au-dereferencement-la-formation-restreinte-de-la-cnil-prononce-une-sanction-de-100000-eu

Délibération complète (pdf, 537 ko) :
www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/d2016-054_sanction_google.pdf

Notre communiqué de presse du 15 juillet 2015, renvoyant à nos actualités publiées jusque-là et à un dossier de presse en pdf
 

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Didier FROCHOT