Un délicat problème de droit à l'image vient fragiliser l'e-réputation des personnes

Une toute récente décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation vient fragiliser le statut du droit à l'image et remettre en cause la protection de l'e-réputation d'une personne physique.

Les faits

Dans le cadre de leur vie de couple, un conjoint a réalisé des photos de sa compagne nue. Après leur séparation, l'ex-conjoint a publié une de ces photos sans l'accord de l'intéressée. Celle-ci a donc assigné son ex sur la base de l'article 226-1 du code pénal qui dispose notamment :
"Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
(...)
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé."
L'article 226-2 du même code stipule, entre autres :
"Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1."

À la lecture de ces deux articles, on pourrait penser qu'il y avait eu "transmission, sans le consentement de celle-ci" de l'image de la personne en vue de la "porter à la connaissance du public", et que le délit était constitué.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de Cassation qui casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes en date du 26 mars 2015 qui avait confirmé la condamnation pénale de l'ex-conjoint.
Le raisonnement de la Cour doit être suivi avec soin pour bien en comprendre ses fondements purement juridiques.

Le consentement initial essentiel

La Cour relève en effet que la personne photographiée était consentante pour l'être. Or selon les magistrats, c'est le seul consentement qui compte.
À partir du moment où la personne ne s'est pas opposée à la photographie, il ne peut y avoir délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée.
La Cour précise donc "que le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers (…) l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé, n’est punissable que si l’enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée".
En conséquence, elle ne peut que critiquer l'arrêt de cour d'appel "alors que n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement".
La haute cour rappelle avant tout que "la loi pénale est d'interprétation stricte", en d'autres termes que le seul critère qui compte est le consentement initial, la publication ultérieure de la photo ne relevant pas de cette sanction pénale.

Une infraction pénale non commise ne signifie pas impunité ni absence d'action possible

Comme on le sait, la Cour de cassation n'est pas un troisième degré de juridiction destiné à juger une nouvelle fois un litige, mais elle doit se prononcer en pur droit sur le bien fondé d'une décision de justice, en général de cour d'appel.
Et en pur droit, la Cour se borne à considérer que le fait de publier cette photographie ne pouvait relever de la sanction pénale invoquée par les avocats de la plaignante, à savoir celle prévue par les articles 226-1 et 226-2 du code pénal.
Mais il faut bien noter que c'est la seule affirmation de la Cour.
Si un autre texte civil ou pénal existait, il était possible de l'invoquer, comme par exemple l'article 9 du code civil : droit au respect de sa vie privée, un des fondements du droit à l'image des personnes physiques, pleinement en situation ici.
Certes, ce n'est pas un texte pénal et aucune condamnation pénale ne pourrait être prononcée contre l'ex-conjoint, mais un tribunal civil pourrait le condamner à verser de substantiels dommages-intérêts à la victime dont l'image nue a tout de même été publiée sur le net au vu et au su de tous sans son accord.

Une décision qui incite à plus de rigueur dans la qualification juridique d'un litige

Cette décision montre à quel point le droit est une matière extrêmement précise et qui nécessite un doigté et une rigueur d'analyse particulièrement aigus. Faute de quoi on se retrouve débouté au bout d'un long parcours judiciaire : déjà un an entre l'arrêt de cour d'appel et la cassation, sans compter le délai (inconnu ici) entre le jugement antérieur du TGI et la cour d'appel.

Cela invite aussi les avocats à bien analyser le litige et bien choisir les terrains juridiques pour agir. Ici, la tentation était grande de faire l'amalgame rapide entre consentement à être photographié et consentement à voir sa photo publiée. Or une analyse très fine des deux articles du code pénal montre que seul le premier consentement est incriminé pénalement. Le second relève plus de la protection de la vie privée, jusqu'à ce qu'on change le code pénal.
Une faute de raisonnement de pure logique, vite démasquée par la Cour de cassation a mené la plaignante à une impasse.

Une situation apparemment choquante

Sur le plan des faits et des agissements de l'ex-conjoint, la situation qui découle de cette décision paraît choquante.
Certes, il y le problème d'analyse logique initiale, mais la Cour de cassation a déjà, dans le passé, infléchi une disposition de loi dans un sens pratique plus favorable.
La Cour aurait ainsi pu introduire la notion de périmètre de l'accord pour être photographié, à l'image du périmètre d'exploitation consenti par l'auteur sur son oeuvre, et considérer que si la personne consentait à ce que son conjoint la photographie nue pour son usage personnel, elle n'entendait pas voir la même image publiée sur le net. C'eut été adapter un texte du code pénal aux exigences actuelles de l'internet.

Ce n'est pas le cas ici et c'est pourquoi le décision peut paraître choquante et le non-juriste peut être légitimement découragé par celle-ci, soupirant que le droit ne protège décidément pas les victimes. C'est en fait une question de terrain juridique à bien choisir.

Un projet de changement du code pénal sur ce point

Précisément, conscients du risque de publication en ligne dans un but vengeur, dans le cadre des débats sur le projet de loi "pour une République numérique", les députés ont inséré et adopté un amendement qui aurait pour but d'insérer un nouvel alinéa à l'article 226-1 :
"Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 € d'amende le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne l'image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès lors qu'elle présente un caractère sexuel." (article 33 quater du texte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale et transmis au Sénat le 26 janvier dernier).

Même si ce texte est quelque peu restrictif (visant le seul caractère sexuel), c'est une piste à suivre...

En savoir plus

Voir l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur l'excellent site Legalis.net (il n'est pas encore publié sur Légifrance) :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4934
Et le commentaire qui y est publié :
www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4935

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Didier FROCHOT