Le patrimoine numérique : vers une meilleure conservation de notre mémoire ?

A. La transmission de la mémoire

La transmission de la mémoire demeure une très ancienne problématique. Si, dans le passé, le temps venait à bout de pans entiers de notre patrimoine, la naissance de l'informatique apparaît comme une véritable révolution et une espoir sous cet angle.

1. Les aléas du temps

La mémoire et sa transmission ont, de tout temps, été une des préoccupations majeures des hommes. Par la peinture, la sculpture ou l'écriture, l'homme a pu laisser une trace aux générations futures. Mais le type de support utilisé par nos ancêtres reste soumis aux aléas et aux ravages du temps. Combien d'objets et de témoignages de notre patrimoine ont-ils été volés, brûlés ou bien perdus définitivement ?
La préservation de la mémoire a donc toujours habité l'esprit des hommes. Et aujourd'hui, le développement de l'outil informatique ouvre de nouvelles perspectives pour la transmission de ce patrimoine.

2. Naissance de l'informatique

L'apparition de l'électronique et de l'ordinateur dans les années 1950 a, en effet, bouleversé des contraintes qui paraissaient jusqu'alors insurmontables. Destinée dans un premier temps aux calculs scientifiques et au stockage de données scientifiques, l'informatique a rapidement atteint et transformé le monde des entreprises avant de toucher le grand public.

Puis l'apparition du réseau Internet va développer considérablement les possibilités d'échanges de données. Mais une des principales richesses de l'informatique puis d'Internet est la mise au point de protocoles de communication et de formats de fichiers standards. Développés par des universités et de grandes entreprises, ceux-ci permettent aux millions d'utilisateurs du réseau de communiquer, d'échanger et de conserver des données, malgré la diversité des systèmes et de leurs logiciels.
Par ailleurs, avec l'augmentation sans cesse croissante des capacités et de la puissance des matériels, les hommes peuvent désormais compter sur des moyens d'archivage et de conservation de l'information aux capacités sans cesse croissantes.
Que ce soit par l'intermédiaire du réseau Internet, des serveurs informatiques commerciaux et institutionnels ou encore des ordinateurs personnels disséminés à travers le monde, les outils et les supports ne manquent pas pour mettre en place une politique de sauvegarde et de transmission d'un véritable patrimoine numérique.

B. Les avantages du numérique

Le numérique possède un certain nombre d'avantages : le gain de place, des coûts de production et de stockage relativement faibles, l'existence de formats standards ainsi que de nombreuses possibilités pour mieux gérer ses documents.

1. Un gain de place

En premier lieu, le support numérique permet le stockage d'une très grande quantité d'informations sur une surface très réduite. Pour exemple, un cédérom - disque numérique de 12 cm de diamètre - peut contenir 74 minutes de musique haute définition, 20 000 images ou 250 000 pages de textes. Les supports se diversifient et tendent vers une miniaturisation toujours plus importante tandis que les capacités de stockage deviennent de plus en plus grandes.

2. Des coûts relativement faibles

La grande variété de données qui sont stockées peut être facilement copiée et archivée à un coût déjà très faible. C'est ainsi qu'il est possible d'archiver l'équivalent d'une centaine de livres sur un cédérom à un coût proche de 1 euro.

3. Des formats standards

Par ailleurs, l'existence de formats de fichiers standards permet d'envisager la conservation de toutes données sans risques d'incompatibilité futures. Cependant, il est utile surveiller l'évolution des normes de format afin de pouvoir opérer la migration le moment venu. Mais cette notion de format standard est essentielle pour la transmission d'un patrimoine numérique sur le long terme. Mais le plus gros écueil reste celui non pas des formats de fichiers mais de supports physiques et de lecteurs.

4. Une meilleure gestion des documents

Mais le numérique présente bien d'autres avantages : optimisation de la circulation des documents, rapidité de traitement de l'information, intégration de plusieurs médias (multimédia : images, son, vidéo, texte) en un seul document, transfert rapide d'un support à l'autre, possibilité d'effectuer des recherches dans le document (texte intégral), mobilité et facilité de présentation des dossiers archivés, autre type de navigation (hypertexte) dans les documents (grâce aux hyperliens), mais surtout, nous l'avons signalé, meilleure conservation de ces documents numériques dans le temps.

C. Les limites du numérique

Le numérique possède toutefois ses propres limites. En effet, il n'existe pas encore de système de stockage fiable à 100% et comme pour tout autre système, on ne peut jamais compter sur une sécurité absolue. Par ailleurs, la technologie du numérique évolue très vite et il est impossible aujourd'hui de garantir une vraie pérennité sur trois points : le format des fichiers, la durée de vie des supports ainsi que celle des systèmes de lecture.

1. Pas de fiabilité à 100% / le risque zéro n'existe pas

Une donnée informatique ne devrait, en principe, jamais pouvoir être perdue. C'est, en tout cas, le souhait bien légitime de tous ceux qui stockent un nombre important de fichiers précieux sur un ordinateur ou un support de stockage.
Aujourd'hui, les ordinateurs sont sans aucun doute le moyen le plus pratique de stocker et conserver de l'information sur peu d'espace. Toutefois, le risque zéro n'existe pas. Et personne n'est à l'abri d'une panne d'électricité ou d'une défaillance du matériel qui pourraient provoquer la perte ou la détérioration importante de données, d'autant plus qu'on sait peu de choses sur la stabilité à long terme des matériels numériques.
Pannes d'électricité, virus ou encore dégâts d'eau, certains événements peuvent être dévastateurs pour le matériel informatique et les données stockées au format numérique.
En outre, les disquette, les disques compacts et autres supports (CD) sont susceptibles de dommages en cas de manipulation ou de rangement négligents.

Il est donc nécessaire de connaître les limites du numérique lorsqu'on utilise cette technologie pour gérer et stocker son information. Mais les questions de négligence et de non sécurité à 100% sont monnaie courante dans n'importe quel système de stockage. Aucun système ne peut être considéré comme entièrement fiable aujourd'hui. Le numérique n'a donc entraîné aucune problématique nouvelle - dans ce domaine - car ces questions de non fiabilité existent pour tous les supports.
En effet, aucun support de stockage n'est à l'abri de la morsure du temps ou d'une mauvaise manipulation sans parler des événements imprévisibles tels qu'incendies ou inondations.

2. Aucune sécurité absolue

Il ne peut y avoir de sécurité absolue pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, une opération de sauvegarde nécessite souvent une certaine rigueur ainsi qu'une vérification de sa bonne conduite, ce qui est rarement le cas. Et pour pallier à toute déficience d'un disque dur ou d'un support de stockage, des solutions de sauvegarde (backup) permettent la constitution de copies des données. Mais cela implique souvent du temps et des moyens plus importants.

Par ailleurs, la capacité des disques durs disponibles en standard sur les ordinateurs est très supérieure à celles des supports d'archives disponibles pour le grand public. Pour exemple, en 2002, la capacité moyenne d'un disque dur était de 60 Go tandis que celle d'un cédérom gravable (CD-R) était de 700 Mo. Il fallait donc prévoir près de 87 cédéroms pour l'archivage complet d'un tel disque dur. Et aujourd'hui, le fossé ne fait que se creuser avec l'augmentation régulière des capacités de stockage des disques dur. On assiste fort heureusement à l'apparition de disques dur externes qui peuvent jouer de rôle de relais de stockage, mais le stockage y est tout de même plus volatile et donc plus fragile que sur des cédéroms gravés.

3. Les formats de fichier

Les limites du numérique sont également posées à travers les formats de fichiers. Les données stockées sont généralement produites par des logiciels dans un format qui leur est propre. Cette dépendance peut entraîner, dans des cas malgré tout rares, une impossibilité d'accès : une erreur du logiciel entraînant la corruption du fichier ou encore des données incompatibles avec un nouveau matériel...

4. La durée de vie des supports

La pérennité des supports d'archive est aussi très problématique. Contrairement aux messages publicitaires vantant la fiabilité des supports magnétiques ou optiques, ceux-ci - comme le cédérom - ont une durée de vie qui ne dépasse pas 15 ans en fonction de leur secret de fabrication.

5. La (re)lecture des données / péremption des systèmes de lecture

Si le numérique apporte un certain nombre d'avantages par rapport au support papier, la péremption des systèmes de lecture constitue une limite propre - et de taille - à ce procédé. Ces questions de pérennité du à la relecture sont d'ailleurs communes à tous les supports indirects (cassettes, CD, bandes, disquettes, etc...) : le numérique n'est pas un simple support de stockage dont l'homme peut directement prendre connaissance. Comme pour les bandes magnétiques analogiques, il faut obligatoirement un intermédiaire technique pour que le contenu stocké soit communiqué à l'homme.

L'évolution des supports de stockage, vers des solutions toujours plus performantes et plus intégrées est inévitable. Ainsi en quelque 20 ans, on est passé en informatique de la disquette 8' ¼ à la 3' ½ en passant par la 5'.

Cette problématique de la relecture des données implique également les formats de fichiers. Aujourd'hui, nous assistons à une prolifération de la gamme de formats de médias de stockage disponibles. Ceci est particulièrement exact avec la technologie DVD qui ne propose pas moins de 7 formats différents (Digital Versatile Disc) répartis entre formats de stockage (DVD-Rom et ses dérivés : DVD-Vidéo et DVD-Audio) et formats enregistrables (DVD-R, DVD-RW, DVD-Ram et le DVD+RW).
Le manque de standardisation entraîne des incompatibilités au sein des lecteurs et des médias, et rend l'utilisation d'une certaine technologie risquée pour les utilisateurs.

L'obsolescence rapide des matériels et des logiciels nécessaires à l'interprétation et à la présentation des documents numériques est donc une donnée essentielle à prendre en compte. Car, certains documents numériques créés aujourd'hui pourront ne seront plus consultables dans un proche avenir si l'on ne prend pas des mesures adéquates.

Des pertes importantes ont déjà eu lieu. Le 27 juillet 2001, l'agence Reuters a parlé du cas Joseph Miller, neurobiologiste de l'Université de Californie du Sud, qui avait cherché à consulter certaines données que les sondes Viking avaient envoyées de Mars dans les années 1970. Mais lorsque la NASA sortit les bandes magnétiques, l'agence spatiale se rendit compte que ces données étaient enregistrées dans un format désormais illisible. Et les programmateurs qui avaient travaillé sur le logiciel étaient tous décédés. Finalement, Joseph Miller - qui cherchait dans ces données des preuves de vie microbienne sur Mars - dut se contenter de documents imprimés ne représentant qu'un tiers des données numériques d'origine.
D'ailleurs, une bonne partie des recherches de la NASA serait perdue à cause de mauvaises conditions de stockage provenant de l'espace.

Pour éviter ce genre de déconvenues et assurer un accès pérenne à l'information numérique, il faut donc, sans cesse, pouvoir assurer les changements de support numérique et de logiciels nécessaires aux bonnes sauvegarde et restitution des données. Il convient donc de copier et de transformer les documents numériques pour les rendre accessibles par les supports, les logiciels, les matériels et les systèmes d'exploitation de l'heure.

|cc| Fabrice Molinaro - mai 2005

Voir aussi : Patrimoine numérique : introduction - La conservation de notre patrimoine numérique.

Fabrice MOLINARO