Internet et les documentalistes

Incontournable informatique...

Le temps n'est plus pour les documentalistes de se bercer de l'illusion de faire carrière paisiblement jusqu'à la retraite, en évitant soigneusement de se mettre à l'informatique. Ce qui paraissait professionnellement suicidaire, voici déjà quelques années, est devenu aujourd'hui totalement ridicule : autant dire qu'on ne veut plus exercer ce métier. En effet, tout document est devenu ou tend à devenir numérique et donc accessible exclusivement par des moyens informatiques. Voir Introduction à l'Initiation informatique.

Internet un gisement d'information de plus ?

Il serait faux de ne voir dans l'Internet qu'une source d'information de plus, certes plus grosse que les autres, si on prend le réseau mondial dans sa globalité. Il faut reconnaître qu'Internet est accessoirement le plus fabuleux gisement d'information au monde. Mais reste alors à qualifier ce gisement par rapport aux préoccupations documentaires.

Un double virtuel du monde réel...

Les penseurs du virtuel ont pu affirmer qu'Internet se présentait un peu, comme un double virtuel du monde réel. L'image n'est pas fausse et même séduisante pour notre réflexion. Mais alors,, on doit pouvoir trouver sur ce réseau les mêmes sources d'information que dans le monde réel. C'est un peu ce qui se passe aujourd'hui, sous deux réserves non négligeables.
1. Tous les pays du monde ne sont pas encore dotés de sites Internet comme l'est le monde occidental. Ainsi des zones de la planète (Chine et pays d'Indochine, entre autres) n'ont qu'un accès très filtré et surveillé à l'Internet et surtout ne produisent pas, même au niveau étatique, les sites qui permettraient d'affirmer leur présence virtuelle sur le net.
2. Dans tous les pays du monde où le net est très présent, on ne peut encore affirmer que tout acteur économique et social, tout acteur civique ait doublé sa production d'information par des sites web. D'où un certain décalage entre le monde réel et le virtuel d'Internet.

Des sources d'information anarchiques

On a trop dit que sur Internet les informations fournies n'étaient validées par personne... Comme s'il fallait un gendarme derrière chaque producteur d'information ! Le raisonnement tendant à déplorer ce manque de contrôle participe d'une certaine confusion entre l'acte solennel de publication papier, avec des responsabilités éditoriales, un éventuel contrôle scientifique (avec toutes les tentations de muselage que cela suppose) le scientifiquement correct existe aussi et la publication sur le Web, beaucoup plus libre. S'offusquerait-on de trouver un tract dans la rue, émanant de telle ou telle faction militante et alléguant des faits de manière tendancieuse, voire erronée ? On comprend que c'est le jeu de la liberté d'expression. Il en est de même sur Internet. Toute personne peut s'exprimer en toute liberté, mais - il est vrai - sans que personne ne garantisse ce qu'il affirme.
Cependant, pour revenir à des préoccupations plus professionnelles, il convient de ne pas sombrer dans la paranoïa d'un réseau traquenard. Le Journal officiel de la République française n'est pas devenu douteux, le jour où il s'est affiché sur Internet. Les documents des assemblées parlementaires, publiés sur les sites des deux assemblées, ne sont pas devenus suspects du fait qu'ils traînent sur le Web... Restons sérieux. Non seulement ils ne sont pas suspects, mais pour beaucoup de citoyens, c'est la première fois qu'ils peuvent être connus et lus. Nous voulons dire par là que pour les sources officielles, le Web a démultiplié considérablement les possibilités de diffusion, et pour le citoyen (du monde cette fois-ci) les possibilités d'accès sont quasi infinies. On peut avoir accès au droit américain, canadien, aux rapports officiels des instances internationales sans aucune contrainte ni recherche fastidieuse, et ceci dans presque tous les secteurs et tous les domaines. Donc Internet est pour les documentalistes, une source d'accès à des informations parfois à vérifier, mais d'une commodité inconnue jusque là. Voir aussi Introduction à l'Information juridique

L'internet va remplacer les documentalistes...

On a pu lire en 1996 sous la plume d'un journaliste des Échos, que l'Internet allait remplacer les documentalistes, les secrétaires et même les agents de voyages... C'était bien sûr n'avoir strictement rien compris au phénomène Internet et à sa nature profonde. Nous croyons avoir suffisamment montré en quoi il reposait seulement sur de la mise à disposition d'information. C'est ce qui permettait au journaliste d'affirmer que grâce à Internet on pourrait se passer de documentalistes puisqu'il est bien connu qu'on trouve tout sur Internet au bout des doigts... D'une part, c'était n'avoir pas testé les fameux moteurs de recherche prétendus incollables. D'autre part c'était oublier derrière tous ces sites, les producteurs présentant l'information. Et pour cette tâche de traitement de l'information, tout désigne les documentalistes. Les faits le montrent peu à peu et certaines sociétés d'édition sur Internet recrutent des diplômés en documentation.
Si le journaliste avait réalisé une sérieuse étude du phénomène Internet, il aurait pu voir que la fonction assurée par ce réseau est celle d'une communication d'information à des masses d'usagers, qui vont de plus en plus se rapprocher des masses grand public. Autrement dit, la fonction assurée par le net est celle de mass media. Qui donc, dès lors, est menacé par le Web ? Les organes de presse et par conséquent les journalistes ! Mais ceci est un autre débat...

L'Internet chronophage

L'argument fréquemment utilisé pour refuser l'accès de l'Internet à des personnels d'entreprises est le fait qu'on y perd du temps : « Internet, on y perd son temps et on ne trouve rien ». Affirmation péremptoire qui en soi ne signifie pas grand chose, ou plutôt apporte de l'eau au moulin des documentalistes... En effet si « on ne trouve rien » sur Internet, c'est que chercher une information exige de la méthode... L'image selon laquelle on tape deux mots sur un outil de recherche et d'un seul coup on obtient les réponses souhaitées reste encore du domaine du fantasme. En conséquence, on risque fort de perdre son temps sur Internet, faute d'un peu de bon sens et de méthode, faute d'intelligence de l'information, qui est une des qualités spécifiques des documentalistes.
C'est pourquoi, nous avons coutume d'affirmer haut et fort aux documentalistes, qu'ils sont payés pour perdre leur temps sur Internet... non sans une dose de paradoxe soigneusement calculée.
En effet, un documentaliste est payé pour rechercher de l'information. Il est même chargé de rechercher les sources utiles et pertinentes pour ses utilisateurs afin de les réorienter intelligemment, le moment venu. Or, pour bien connaître les sites utiles sur le Web, il faut inévitablement aller en visiter de nombreux, et tout aussi inévitablement perdre de son temps. Cet investissement intellectuel est le propre du documentaliste. Songerait-on à reprocher à un bibliothécaire de perdre son temps à feuilleter les catalogues des éditeurs en vue de sélectionner les achats possibles ? Ne reprochons donc pas aux documentalistes d'explorer le Web pour leurs utilisateurs. Ce temps perdu est autant de temps gagné par les utilisateurs internes à l'entreprise. Ce n'est pas l'ingénieur ou le juriste qui est payé pour passer des heures à explorer le Web et s'y retrouver. Ce travail doit être fait pour lui de la même manière que le travail de sélection documentaire est déjà fait pour lui. C'est pourquoi, pour nous, le travail d'exploration du Web est étroitement lié à la production d'Intranet au sein des organisations. Ceci nous amène au rôle des documentalistes dans les Intranets des organisations, et spécialement ceux des collectivités locales.

|cc| Didier Frochot — septembre 2000 — décembre 2003

Voir l'article des Échos cité ci-dessus : Des agents très spéciaux, Michel Ktitareff, 7 février 1966 :
www.lesechos.fr/07/02/1996/LesEchos/17081-94-ECH_des-agents-tres-speciaux.htm

Didier FROCHOT