Des techniques documentaires aux technologies de l'information, du documentaliste au knowledge manager : quelques réflexions

Jacques CHAUMIER
Conseiller auprès du Président
Bureau van Dijk. Paris

 

Les acteurs concernés par le management de l'information et des connaissances n'ont jamais été aussi nombreux et ceux-ci sous des appellations et des fonctions bien diverses : info-manager, info-médiateur, webmaster (ou webmestre), cogniticien, knowledge manager, sémanticien linguiste, producteur et éditeur de contenu numérique et bien d'autres encore.

Tout ceci pose deux questions : y a-t-il encore des techniques de la documentation, y a-t-il encore besoin d'un enseignement des techniques documentaires.

Les technologies de l'information ont d'ores et déjà remplacé, en les élargissant, les techniques documentaires. Elles sont désormais entre les mains des informaticiens ou de spécialistes d'un domaine bien précis, tels les linguistes.
Il ne s'agit donc plus de technologie mais de management de l'information dans le cadre d'une société de l'information qui se met en place. Les technologies de l'information se développent maintenant dans un cadre industriel. C'est ainsi par exemple que selon IDC, le marché des infologiciels serait, en 2005, de 2 630 millions de dollars.

Par ailleurs, l'avènement du document numérique a bouleversé toutes les données en matière d'information. Les systèmes d'information sont désormais entre les mains des specialistes de l'informatique. Le glissement de sens du terme indexation est, par exemple, significatif d'une évolution des techniques documentaires vers les technologies de l'information. Employé par le documentaliste, le mot indexation désignait le processus de caractérisation d'un document par l'affectation de mots clés (ou descripteurs) choisis dans un dictionnaire ou thésaurus. Maintenant, utilisé par l'information, il désigne le processus automatique de création d'index de recherche dans une base de données sur l'ensemble des mots significatifs d'un texte.
Autre « symptôme » pourrait-on dire de cet état de fait et qui va bien au-delà du simple aspect sémantique, c'est celui des outils linguistiques pour la description du contenu des documents. Naguère, le documentaliste créait et utilisait des plans de classement et des thésaurus (ou des réseaux sémantiques).

Maintenant, le knowledge manager développe et met en œuvre des taxonomies et des ontologies, outils dont les normes sont fixées par les informaticiens. On peut d'ailleurs remarquer que les termes « ontologie », « taxonomie » et « réseau sémantique » ne figurent pas dans le « Vocabulaire de la documentation » publié par l'ADBS.

Le document étant maintenant numérique, soit lors de sa création soit par un processus de numérisation, il est courant de voir se constituer des bibliothèques virtuelles permettant un accès aux documents, en dehors de toute contrainte de temps et de lieu. Parlerons-nous bientôt de bibliothécaire ou de documentaliste virtuel ? Les professionnels de l'information, puisque telle est la dénomination adoptée par l'ancienne Association française des Documentalistes et Bibliothécaires spécialisés (ADBS), sont-ils encore nécessaires dans la société de l'information ?
Il est d'ailleurs curieux de voir que l'ADBS, après avoir abandonné le vocable de « documentaliste », fait une campagne de promotion de l'Association avec le slogan « Comptez avec les nouveaux documentalistes ».

En réponse à cette question, nous citerons ce propos de Marc Maisonneuve dans le n°3/2003 de la revue Documentaliste-Sciences de l'information : « L'accessibilité du web n'est pas un leurre mais elle se réduit à la généralisation des outils de consultation (tout ordinateur doté d'un navigateur), alors que les stratégies de recherche d'information se compliquent de manière exponentielle avec l'augmentation continue du nombre de sites. Finalement, alors que l'on pouvait craindre une marginalisation des documentalistes ou des bibliothécaires dans l'accès à l'information, la multiplication des ressources électroniques renforce le besoin d'un médiateur professionnel. » Il est curieux de constater que Marc Maisonneuve souligne le besoin d'un médiateur mais se refuse à utiliser alors le mot documentaliste.

Ce médiateur (même à l'heure du web sémantique) doit être un accompagnateur des utilisateurs pour une valorisation de l'outil informationnel avec une vraie valeur ajoutée et utilisable. Trop de systèmes de cartographie, de réseaux sémantiques produisent de jolis documents en couleurs qui font l'orgueil de ceux qui les produisent mais restent parfaitement abscons pour l'utilisateur.
Autre question sur le rôle du professionnel de l'information. Celui-ci sera-t-il un homme (ou une femme pour ne pas être accuser de discrimination sexiste) de front office ou de back office ? Sera-t-il celui qui rédige les normes diverses (sur l'archivage électronique, la capitalisation d'expérience, les prestations de veille, la sécurité des informations stratégiques, le records management, la gestion des connaissances pour ne citer que les dernières à l'ordre du jour), qui élabore les dictionnaires des systèmes de traduction ou de traitement du langage naturel, et autres processus technologiques ? Sera-t-il celui qui accompagne les décideurs, participe à la stratégie de l'entreprise en véritable « analyste » de l'information ?
La spécificité, dans les systèmes d'information, des technologies liées au traitement de l'information permet aux acteurs de l'information de développer leur propre personnalité dans le cadre d'une sphère d'intervention qui ne cesse de s'agrandir.

|cc| Jacques Chaumier — novembre 2004

Voir aussi dans ce site : La fonction documentaire condamnée à un brillant avenir.

Jacques CHAUMIER