Un site web est-il tenu de fournir un numéro de téléphone parmi les moyens de contact ?

Ainsi posée, la question peut paraître juridiquement évidente au vu de la directive 2011/83 modifiant les dispositions sur le droit des consommateurs (article 6, 1, c) et de notre loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique (dite LCEN, article 6-III, 1), il apparaît formellement que l'exigence de la mention d'un numéro de téléphone en ligne est présente.

Arrêtons-nous un instant sur le texte précis de la directive.

L'article 6, 1, c dispose :

"l’adresse géographique où le professionnel est établi ainsi que le numéro de téléphone du professionnel, son numéro de télécopieur et son adresse électronique, lorsqu’ils sont disponibles, pour permettre au consommateur de le contacter rapidement et de communiquer avec lui efficacement et, le cas échéant, l’adresse géographique et l’identité du professionnel pour le compte duquel il agit ;"

Une question préjudicielle devant la CJUE

La question a donc été posée dans un contentieux opposant la firme Amazon à une association de consommateurs allemands qui a  assigné la branche européenne du géant américain devant la justice de son pays, aux fins de faire constater la violation par Amazon de la loi allemande prévoyant, comme en France, la mention d'un numéro de téléphone de contact dans les éléments d'informations mis à disposition du public. L'affaire étant montée jusqu'à la cour fédérale allemande, celle-ci a saisi la cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, portant, selon le communiqué de presse de la CJUE

"sur l’interprétation correcte de l’expression « lorsqu’ils sont disponibles », qui fait référence aux moyens de communication entre le professionnel et le consommateur dans les contrats à distance et hors établissement, ainsi que sur la nature, exhaustive ou non, de la liste des moyens de communication (téléphone, télécopieur, courrier électronique) prévue dans ce cadre et sur le contenu de l’obligation de transparence imposée au professionnel"

Les conclusions de l'avocat général de la Cour ont été rendues publiques le 28 février dernier. Le communiqué de presse de la Cour qui résume toujours très bien les éléments du litige précise les poins suivants :

"les dispositions du droit de l’Union en la matière doivent être interprétées de manière à garantir le niveau le plus élevé de protection du consommateur sans affecter la liberté d’organisation de l’entrepreneur, sauf dans une mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de cette protection."
(…) "l’avocat général souligne qu’une protection efficace des consommateurs ne nécessite pas l’imposition d’une modalité spécifique de contact (par exemple, le téléphone) mais en garantissant aux consommateurs la possibilité de bénéficier des voies de communication les plus efficaces en fonction du support utilisé pour la transaction."
(…) "pour  l’avocat  général,  ce  qui  importe,  ce  n’est  pas  tant  le  moyen  de  communication considéré dans l’abstrait que la capacité concrète de celui-ci à atteindre les objectifs suivants de la directive :
i) un contact rapide et une communication efficace entre le consommateur et le professionnel, et
ii) une information fournie sous une forme claire et compréhensible."

En fin de compte :

"L’avocat général propose donc à la Cour de déclarer que, pour les contrats à distance et les contrats hors établissement, l’énumération des moyens de contact (téléphone, télécopie, courrier électronique) dans la directive n’est qu’indicative. Le professionnel est donc libre de choisir les moyens de contact qu’il met à la disposition du consommateur, y compris des moyens de communication non expressément mentionnés dans la directive comme un système de discussion en ligne (évolution technologique de la télécopie) ou un système de rappel téléphonique (évolution technologique du service de centre d’appel), pour autant que les objectifs de la directive rappelés ci-dessus soient réalisés."

En d'autres termes, quelles que soient les rigueurs formelles de la rédaction de la directive, notamment quant à la présence d'un numéro de téléphone, l'avocat général est d'avis qu'il importe de viser davantage la fonction attendue : protéger le consommateur en lui donnant des moyens de contact courants et commodes, plutôt que de s'en tenir à la lettre du texte.

Une position dangereuse ?

Cette position est quelque peu étonnante. Elle pourrait déboucher sur de nombreuses incertitudes juridiques si des juges se permettent ainsi d'interpréter un texte juridique ayant force obligatoire et qui est clair.
Il apparaît en outre que l'avocat général soit presque plus préoccupé par la liberté d'entreprendre en prenant fait et causes pour les commerçants en ligne, notamment lorsqu'il évoque :

"l’imposition d’une modalité spécifique de communication comme l’utilisation du téléphone, non nécessaire aux fins d’une protection efficace du consommateur, risquerait d’être une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs de protection du consommateur car elle serait susceptible d’imposer des charges inappropriées aux entreprises concernées et, surtout, à celles qui ne sont pas des «géants d’Internet» comme Amazon."

Si l'on suit cette argumentation, la possibilité de joindre une personne par téléphone ne garantirait pas la protection du consommateur et de surcroît une telle possibilité serait trop coûteuse pour un commerçant en ligne, surtout pour de petites entreprises. On le voit donc cette position tente d'équilibrer les intérêts des commerçants en ligne face aux rigueurs de la protection des consommateurs. Est-ce bien là l'esprit de la directive ?

Un point positif

Aux termes de ce raisonnement, reconnaissons à l'avocat général le mérite de suggérer d'interpréter la directive à la lumière des progrès rapides des moyens de communication, en admettant dans son champ des moyensdecoùùunication non évoqués dans le texte "comme un système de discussion en ligne (…) ou ou un système de rappel téléphonique".

Reste à savoir comment la Cour tranchera, si elle suivra, et dans quelle mesure, les conclusions de l'avocat général.

En savoir plus

Lire le Communiqué de presse de la CJUE en date du 28 février 2019 (pdf, 219 ko)
Voir la Fiche de procédure sur le site de la Cour présentant les conclusions et la demande initiale
Lire les Conclusions de l'avocat général Pitruzzella du 28 février sur EUR-Lex

Didier FROCHOT