Propriété intellectuelle sur Internet : marque contre nom de domaine

Depuis l'émergence d'un internet mondial avec les facilités du Web, se pose la délicate question de la force respective d'une marque et d'un nom de domaine qui seraient identiques.
La solution souvent préconisée est que la marque, de par sa force juridique, prime sur le nom de domaine. La solution n'est pas aussi simple car il faut combiner ce principe avec bien d'autres critères tels que la temporalité (qui a déposé le premier ?), la spécialité d'une marque contre la généralité d'un nom de domaine et enfin la térritorialité de la marque face à l'universalité des noms de domaines déposés sous un domaine supérieur générique (les fameux generic Top Level Domains ou gTLD).

Une décision de justice vient apporter une illustration nouvelle de la relativité du principe de primauté de la marque et des conditions qu'il convient de combiner pour se prétendre titulaire d'un nom de domaine similaire à sa marque.

Les faits

L'OMPI, en juillet 2013 et dans le cadre d'une procédure de règlement arbitral de litiges (UDRP), avait ordonné le transfert du nom de domaine moobitalk.com à la société Team Reager AB qui était titulaire d’une marque communautaire antérieure à l’enregistrement de ce nom de domaine.
Mais la société déposante du nom de domaine, œuvrant en fait à destination du Proche et du Moyen-Orient, ne s'est pas laissée impressionner par cette décision. Elle a assigné en justice la société propriétaire de la marque similaire pour récupérer le nom de domaine qu'elle avait déposé. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 8 novembre 2016, vient de lui donner raison et d'ordonner la restitution de ce nom de domaine.

De la territorialité d'une marque

La cour rappelle que la marque déposée par la société est une marque communautaire, lui assurant donc une protection juridique dans les seuls pays de l'Union européenne. Elle ne peut donc primer contre un nom de domaine enregistré sous le domaine supérieur .com qui lui peut avoir un rayonnement mondial, d'autant qu'il est établi que le déposant exerce essentiellement à destination des Proche et Moyen-Orient.

On le comprend, l'existence d'une marque ne peut protéger son titulaire que dans l'aire géographique de celle-ci : marque français en France, marque communautaire dans l'Union européenne, etc.

En conséquence, la stratégie de protection pour le titulaire d'une marque doit s'opérer autour de deux axes alternatifs, voire cumulatifs, pour sécuriser les choses au mieux :

  • Déposer la marque dans tous les pays où il souhaite revendiquer son existence ; en l'occurrence ici, il eut été opportun de déposer la marque dans quelques pays du Moyen-Orient pour occuper le terrain.
  • Déposer en même temps que la marque, le même signe en nom de domaine sous la plupart des noms de domaine génériques (.com, .org, .net, .info, .biz…) ainsi que sous les domaines géographiques les plus divers (.fr, .be, etc. ainsi que sous le .eu) et bien sûr dans notre cas, des pays du Proche ou du Moyen-Orient).

Une stratégie couplée de marque et de nom de domaine indispensable

Pour puissante qu'elle soit, la protection juridique de la marque connaît deux limites que bien des non-juristes ignorent souvent :

  • La territorialité, dont nous venons de voir une illustration ;
  • La spécialité : une marque ne couvre qu'une série de produits et services limitativement désignés dans le dépôt ; ainsi, une société immobilière Toto peut coexister avec la marque de prêt-à-porter Toto, mais il n'y aura au bout du compte qu'un seul déposant du nom de domaine toto.com : le plus rapide sera le gagnant (règle dite du "premier arrivé, premier servi").

D'où cette nécessaire stratégie couplée de dépôt simultané d'une marque et d'une série de noms de domaine pour la sécuriser.

En savoir plus

Voir l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur Legalis.net :
www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-5-ch-1-arret-du-8-novembre-2016/
et la présentation rapide qui en est faite :
www.legalis.net/actualite/restitution-dun-nom-de-domaine-transfere-par-decision-de-lompi/

Didier FROCHOT