Fichier central d'identité biométrique : le Conseil constitutionnel sanctionne la loi

La proposition de loi relative à la protection de l'identité, lancée à l'initiative de deux sénateurs, Jean-René Lecerf et Michel Houel le 27 juillet 2010 a fini par aboutir, après deux lectures devant chaque assemblée, puis intervention de la Commission mixte paritaire, à un texte définitivement adopté le 6 mars 2012. Ce texte prévoit la mise en place d'une carte d'identité et d'un passeport dits sécurisés, plus précisément qui "comportent un composant électronique sécurisé" (article 2) contenant notamment les empreintes digitales (alinéa 5).

Certaines dispositions de ce texte (articles 5 et 10, article 3) ont provoqué la saisine du Conseil constitutionnel par au moins 60 sénateurs et au moins 60 députés.

Le Conseil s'est donc prononcé le 22 mars dernier, considérant comme inconstitutionnelles deux dispositifs de la loi :

  • La création d’un fichier biométrique national à des fins d’identification intégrant les données de toutes les cartes d’identité et des passeports (article 5 et 10) ;
  • La possibilité que la carte nationale d’identité serve à l’identification sur Internet et de signature électronique (article 3).

Une mesure disproportionnée au but poursuivi

Sur le premier point, l'essentiel de la décision est synthétisé dans le considérant 11 de celle-ci, qui spécifie :
"...que les dispositions de l'article 5 portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ;"
"que, par suite, les articles 5 et 10 de la loi doivent être déclarés contraires à la Constitution ;"
"qu'il en va de même, par voie de conséquence, du troisième alinéa de l'article 6, de l'article 7 et de la seconde phrase de l'article 8."

Une autorisation légale trop imprécise

Sur le second point, la décision du conseil se fonde sur une analyse purement juridique, un peu technique pour le néophyte.
Le Conseil rappelle en substance que le législateur, aux termes de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, "fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et l'état et la capacité des personnes"(considérant 13).
Le considérant 14 souligne ensuite :
"que les dispositions de l'article 3 ne précisent ni la nature des « données » au moyen desquelles ces fonctions peuvent être mises en œuvre ni les garanties assurant l'intégrité et la confidentialité de ces données ;"
"qu'elles ne définissent pas davantage les conditions dans lesquelles s'opère l'authentification des personnes mettant en œuvre ces fonctions, notamment lorsqu'elles sont mineures ou bénéficient d'une mesure de protection juridique ;"
"que, par suite, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ;"
"qu'il en résulte que l'article 3 doit être déclaré contraire à la Constitution."

En d'autres termes, le Conseil rappelle que :

  • Il appartient à la loi de préciser toutes ces conditions de mise en œuvre de l'authentification et de la signature électronique, regardées comme protectrices des libertés individuelles ;
  • Le législateur ne saurait donc se décharger sur des mesures d'application prises par le gouvernement (décrets et arrêtés) puisqu'il est là sur son territoire : garantir et définir en détails les libertés individuelles des citoyens.

La loi expurgée

De sorte que sont écartées de la loi promulguée les articles 3, 5, 7, 10, le troisième alinéa de l'article 6 et la seconde phrase de l'article 8.

Nous nous attachons à donner ces précisions, pour dissiper un malentendu souvent entretenu par les médias : une loi déférée devant le Conseil constitutionnel et sanctionnée par lui, n'est pas obligatoirement "retoquée" dans sa totalité ; c'est même bien souvent le contraire. 

En savoir plus

Lire l'annonce de la censure du Conseil sur le site Vie Publique :
www.vie-publique.fr/focus/fichier-central-biometrique-censure.html?xtor=RSS-13

Voir la décision du Conseil et le dossier documentaire très complet sur le site du Conseil constitutionnel :
www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis...

Voir les dossiers législatifs de la loi en question :

Voir la loi telle que promulguée au JORF, sur Légifrance (loi n°2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité) :
www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;?cidTexte=JORFTEXT000025582411&categorieLien=id

Didier FROCHOT