Le nouveau régime juridique des lanceurs d'alerte

L'expression "lanceurs d'alerte" (whistleblower en anglais) a fait son chemin depuis près de deux décennies jusque dans le grand public. Le terme français semble en effet attesté dans des travaux universitaires dès 1996, mais c'est seulement vers 2005 que le terme passe dans les médias grand public.

Beaucoup d'ambiguïtés et de confusions ont circulé sur cette notion de lanceur d'alerte, au point que le moindre consommateur victime de ce qu'il estime être une "arnaque" de la part d'un commerçant, se croit investi d'une mission de lanceur d'alerte pour désigner publiquement ledit commerçant à la méfiance populaire sur un site d'avis en ligne. C'est là l'extrémité de la confusion.

La dernière loi Sapin

La loi dite Sapin 2, promulguée le 9 décembre dernier, vient de donner un statut juridique à ces personnages. C'est le chapitre 2 du Titre 1er de la loi (articles 6 à 16), intitulé De la protection des lanceurs d'alerte.

Les caractéristiques juridiques du lanceur d'alerte

Le dispositif législatif présente déjà le grand mérite de donner une définition légale du lanceur d'alerte.

L'article 6 pose la définition suivante :
"Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance."

Même si elle est un peu longue, cette définition circonscrit bien le profil d'un possible lanceur d'alerte. Un des points saillants est le caractère nécessairement désintéressé et la bonne foi de l'alerte. Ainsi ne pourrait pas être protégé par ce régime juridique le commerçant qui alerterait sur les malversations d'un concurrent.

Les faits qu'il est possible de dénoncer

Les faits objet de l'alerte sont assez larges puisqu'il est question d'alerter sur "un crime ou un délit", ce qui couvre la majorité de l'arsenal du droit pénal français, les contraventions, les moins graves des infractions, étant donc exclues. Il est aussi possible d'alerter sur "une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général".

Le statut du lanceur d'alerte

Impunité pénale

L'article 7 de la loi introduit un nouvel article 122-9 dans le code pénal qui pose la non responsabilité de "la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause" dans la mesure où elle respecte le cadre légal du lanceur d'alerte.

Une procédure d'alerte nécessairement progressive

L'article 8 aménage une procédure de lancement d'alerte en trois phases :

  • L'alerte est portée à la connaissance du supérieur hiérarchique ;
  • En l'absence de réaction, elle est adressée "à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels" ;
  • À défaut de réaction, "dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public".

On le voit, il n'est pas question de tout étaler d'emblée sur la place publique. Il faut avant tout avoir en quelque sorte épuisé les voies d'alerte directes permettant aux responsables directs ou aux autorités compétentes d'intervenir. C'est seulement si personne ne bouge, que le grand public peut être pris à témoin.

La confidentialité du lanceur pénalement protégée

L'article 9 prévoit que les procédures de recueil des alertes doivent garantir la confidentialité des lanceurs. Seule l'autorité judiciaire peut avoir connaissance de son identité, et uniquement avec son accord. Une sanction pénale de 2 ans de prison et 300 000 € d'amende punit la violation de l'identité du lanceur d'alerte.

La protection du lanceur contre les sanctions disciplinaires

L'article 10 interdit les sanctions disciplinaires contre un salarié ou un agent public du fait de l'alerte qu'il aurait lancée. A contrario, le même article prévoit la sanction pénale pour dénonciation calomnieuse (article 226-10 du code pénal : 1 an de prison et 45 000 € d'amende) pour la personne qui aurait lancé une alerte au mépris des conditions prévues dans la définition, c'est-à-dire en cas de conflit d'intérêt, d'intention de nuire ou de "connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits".

L'article 11 prévoit un mécanisme de réintégration de l'agent public qui aurait été exclu du fait d'un lancement d'alerte justifié. L'article 12 renvoie aux mêmes dispositions du code du travail pour les salariés du privé.

Enfin, un délit d'entrave au lancement d'une alerte est prévu par l'article 13 : 1 an de prison et 15 000 € d'amende, montant qui peut être doublé en cas de poursuite abusive pour diffamation contre un lanceur d'alerte.

En savoir plus

Voir les articles 6 à 16 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique sur Légifrance :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/12/9/ECFM1605542L/jo#JORFSCTA000033558539

Lire l'article de Chloé Leprince du 15 avril 2016 : "D'Einstein aux panama papers : une brève histoire du mot lanceur d'alerte" sur le site de France-Culture :
https://www.franceculture.fr/histoire/d-einstein-aux-panama-papers-une-breve-histoire-du-mot-lanceur-d-alerte

Didier FROCHOT