Vous avez dit Droit à l'oubli numérique ?

Le concept d'e-réputation (cyber-réputation, web-réputation ou plus français : réputation numérique) a émergé voici plus de deux années maintenant. Tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les fondateurs des Infostratèges pratiquaient l'e-réputation avant que le concept n'existe et avant même la création de la société.

Mais le thème de l'e-réputation est devenu un concept très porteur dans les médias, tant il constitue une réalité de première importance sur les réseaux.

Le phénomène de la rumeur et de la réputation d'une personne, physique ou morale est loin d'être nouveau, comme nous le signalions dans notre article du Dossier spécial E-réputation de septembre 2008 : De Beaumarchais à Internet : de la calomnie à l'e-réputation négative. Ce qui l'est, c'est l'e-réputation, avec tous les dangers de pérennité et de facilité de retrouvage qu'elle suppose (voir notre actualité du 6 juillet dernier sur la définition de l'e-réputation).

Voici déjà quelques mois que, au travers de nos missions d'e-réputation négative et de notre veille juridique, nous constatons que le contentieux de l'e-réputation devrait pouvoir se vider d'une grande part de sa substance le jour où les différents pays dotés de législations sur la protection des données à caractère personnel (ils sont nombreux) se décideront tout simplement à les faire appliquer sur le Net. Nous sommes donc heureux de saluer aujourd'hui l'initiative de Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’état chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, autour du "Droit à l'oubli numérique".

Une évidence juridique

La loi Informatique, fichiers et libertés du 6 janvier 1978, dans sa rédaction résultant de la réforme du 6 août 2004, institue une protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Elle crée des droits au profit des personnes physiques à l'égard de tout type de "traitement" de données à caractère personnel. L'article 2 de la loi définit la notion de traitement de la manière la plus large possible, qui permet de l'appliquer à l'Internet, ce que nous n'avons pas manqué de mettre en avant, dans des cas précis, pour certains de nos clients. La CNIL a d'ailleurs rappelé que la loi s'appliquait à l'internet.

Le droit à l'oubli

Mais la même loi instituait, dès 1978 un "droit à l'oubli" qui a été précisé dans l'actuel article 6, 5°. Ce droit se manifeste par l'obligation d'effacer des fichiers les données à caractères personnel dès lors que la finalité de leur traitement a cessé. Les responsables de traitement de telles données, doivent donc notamment prévoir des délais de conservation et les déclarer à la CNIL lorsqu'ils sont tenus aux obligations déclaratives.

De l'anonymisation des données

C'est forte de cette législation, et au vu des graves risques de recoupements grâce à l'informatique et à Internet que la CNIL a émis une recommandation pour que les décisions de justice soient anonymisées dès lors qu'elles sont publiées sur Internet. Et Légifrance, autant que les autres sites qui publient de la jurisprudence se sont conformés à cette recommandation (Voir Délibération n° 01-057 du 29 novembre 2001 portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence)

Pourquoi dès lors ne pas appliquer la même précaution à tout type de donnée qui peut se révéler préjudiciable à une personne physique sur le Net ?

Ce qui vaut pour une décision de justice pourtant officiellement prise par des autorités étatiques, devrait valoir, a fortiori sur tout site Web et pour toute information à caractère personnel. N'est-il pas contradictoire de masquer soigneusement le nom d'une personne condamnée par la justice et de continuer à laisser des personnes être lynchées par la rumeur sur le Net et ce, des années après des faits ou des engagements que l'intéressé préférerait voir oubliés, alors même qu'elles n'ont jamais été condamnées ? Cela nous paraît si choquant que nous avons saisi les services juridiques de la CNIL de ce sujet.

C'est là que le droit à l'oubli numérique entre en scène.

La directive européenne

La réforme de 2004 de la loi de 1978 consacre en fait très largement la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
On y trouve également la même notion très large de "traitement" de données (art.2 b), ainsi que celle du droit à l'oubli (art.6 e).

Le droit à l'oubli numérique devrait donc pouvoir être appliqué dans les 27 pays de l'Union européenne. Et il est bien évident que d'autres grands pays tels que le Canada ou les USA disposent eux aussi de législations protectrices des données à caractère personnel.

En France, l'initiative de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a organisé un atelier public sur le droit à l'oubli numérique le 12 novembre dernier, a eu le mérite de fédérer en même temps de que médiatiser le problème et de lancer l'idée d'un droit à l'oubli numérique (voir les documents diffusés autour de cet atelier sur le site du Centre d'analyse stratégique du Gouvernement. Mais il y a semble-t-il forte convergence avec d'autres grandes voix démocratiques.

Tout d'abord, dans la foulée de la publication de leur rapport d'information rendu public le 27 mai dernier, 2 sénateurs (Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier) ont déposé, le 6 novembre une proposition de loi "visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique". Ce texte prévoit le renforcement des garanties apportées au citoyen de par la loi Informatique, fichiers et libertés, en vue de donner une plus grande efficacité au droit l'oubli numérique.

La Secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique intervenait au 4ème Forum de la Gouvernance de l'Internet, à Charm El-Cheikh, en Égypte, du 15 au 18 novembre. Elle y plaidait pour une mondialisation du droit à l'oubli numérique (voir l'article sur le site ITespresso)

Le 23 novembre, Alex Türk, président de la CNIL, se déclarait favorable à l'inscription du droit à l'oubli dans la Constitution française (voir l'article sur PC Impact sur le sujet) cependant que le secrétaire général de la même institution publiait le 27 novembre une actualité sur le site de la CNIL en faveur du droit à l'oubli numérique.

Un pareil bouillonnement devrait donc déboucher sur une prise de conscience sur l'ensemble du Net et favoriser la mise en place de mesures législatives dans beaucoup de pays au monde.

Voir aussi notre offre en e-réputation : http://notre-offre.les-infostrateges.com/competence/e-reputation
Voir notre dossier spécial E-réputation : http://www.les-infostrateges.com/article/0807348/dossier-special-e-reputation
 

Didier FROCHOT