Droit et fonction documentaire – 6 : Les pages de couverture

Après nous être intéressés à la 4ème de couverture, retournons l’ouvrage — ou le support audio ou vidéo — et considérons la page de couverture en elle-même.

Un peu d’image ne saurait nuire à de la bonne communication…

Lorsque les professionnels de la documentation, à l’instar des bibliothécaires, réalisent un produit documentaire destiné à informer leurs usagers des nouveautés, nommé le plus souvent Nouvelles acquisitions ou Nouveautés, rien n’est plus tentant, pour rendre le produit attrayant, que de reproduire l’image de la couverture ou de la jaquette du document.

… Mais peut-être beaucoup à la propriété intellectuelle

Les plus éclairés parmi les professionnels savent qu’en pareil cas, il est fortement conseillé de solliciter l’accord de l’éditeur. Ce n’est pas faux — encore qu’on pourrait gloser longuement sur le fait que l’éditeur soit effectivement investi des droits d’exploitation de l’auteur de la page de couverture, mais là n’est pas le sujet — et la précaution est bonne.

Une demande d’accord auprès de l’éditeur, et après ?

C’est après la demande d’accord que les choses se compliquent du point de vue des professionnels non-juristes.

  • Certains éditeurs considèrent que cela renforcera l’image de l’ouvrage et de la maison d’édition et donnent leur accord. Dans ce cas, pas de difficulté.
  • Certains éditeurs refusent de manière systématique. Et dans ce cas, il faut respecter ce refus qui dans certains cas peut être justifié, nous y revenons ci-après.
  • Certains ne répondent pas. La question souvent posée est : peut-on considérer qu’au bout d’un certain délai le silence de l’éditeur vaut acceptation tacite ? Rien n’est plus illusoire, mais cela mérite explication.

Les fondements du droit d’auteur : une propriété

Le droit d’auteur est une propriété intellectuelle : l’auteur est donc propriétaire de son œuvre. Exploiter celle-ci sans son accord formel revient à s’installer dans sa propriété sans son accord. D’où le délit de contrefaçon qui correspond à une violation de propriété. Dès lors, il est possible de comprendre que qui ne dit mot ne consent pas, et le silence de l’éditeur continue d’être ce qu’il est, une absence d’autorisation expresse, la seule qui vaille juridiquement.

Le refus de donner un accord de reproduction peut être justifié

Il arrive que, ponctuellement pour telle couverture, ou systématiquement pour l’ensemble de ses couvertures, un éditeur refuse la reproduction. Ce peut être parce qu’il ne détient pas lui-même les droits d'exploitation qui conviennent.
Rappelons que le droit d’exploitation se cède en tranches, selon des périmètres d’exploitation limités et soigneusement définis dans l’acte de cession, conformément à l’article L.131-3 al. 1er.

Dans bien des cas, la couverture est constituée d’une simple maquette sobre, conçue par un professionnel travaillant pour le compte de l’éditeur. Il est alors facile à l’éditeur de donner son accord, par délégation de l’auteur de la mise en page.

Mais dans d’autres cas, la couverture inclut une illustration : dessin, photo ou encore reproduction d’une œuvre d’art. Les choses sont alors plus complexes.

Le casse-tête des couvertures illustrées

Imaginons le cas où la couverture représente un tableau d’un peintre contemporain, donc non encore tombé dans le domaine public. La couverture met alors en œuvre trois couches de droits d'auteur différentes :

  • Ceux du maquettiste qui réalise l’ensemble ;
  • Ceux de l’artiste peintre dont l’œuvre apparaît sur la couverture ;
  • Ceux du photographe de l’œuvre du peintre, sans lequel celle-ci ne pourrait apparaître sur la couverture.

Or il peut parfaitement se trouver que, pour toutes sortes de raisons, l’éditeur n’ait acquis le droit de reproduction du photographe et du peintre que dans la stricte limite de la couverture en question. Comment dès lors peut-il céder à un tiers des droits d’exploitation pour reproduire la couverture dans un produit documentaire ? Cela dépasse le périmètre d’exploitation dont il est investi. D’où il suit qu’il ne peut donner son accord à une demande de reproduction, si poliment formulée soit-elle…

On peut trouver une autre application de ce phénomène dans le répertroie des titres de presse pour lesquels le CFC (Centre français d’exploitation du droit de copie) est mandaté, consultable sur son site : une colonne spécifique apparaît pour chaque titre, visant les infographies et les photographies, dans laquelle s’affiche la mention oui ou non. Le non signifie que, pour les infographies et les images, les organes de presse qui ont mandaté le CFC n’ont que des droits d’exploitation limités à la seule publication qu’ils éditent et ne peuvent par conséquent délivrer aucune autorisation d’exploitation pour ces éléments.

Des solutions pratiques ?

Il convient donc d’être très circonspect quant à la réutilisation des couvertures des livres ou autres supports documentaires. Et toujours tenter l’analyse de cette couverture pour se poser la question de savoir si l’éditeur détient tous les droits d’exploitation, ou si, au vu des éléments intégrés sur celle-ci, il y a de fortes chances qu’il n’ait pas les mains libres. Dans ce dernier cas, il importe de s’abstenir de reproduire, comme le font les grandes librairies en ligne : parfois la couverture n’est pas disponible, et c’est souvent pour ces raisons… 

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Voir également le répertoire numérique des titres de presse qui ont mandaté le CFC sur son site : www.cfcopies.com/copie-professionnelle/repertoire-des-publications/numerique

Didier FROCHOT