Droit et fonction documentaire – 5 : Les 4èmes de couverture

Parmi les diverses pratiques de la fonction documentaire, après avoir étudié les aspects juridiques des titres, de l’indexation, de la rédaction et de la reprise de résumés, venons-en à une épineuse question, souvent posée autant par les bibliothécaires que par les documentalistes : la reprise des 4èmes de couverture, sujet très proche de la reprise des résumés de revues.

Reprise d’une 4ème de couverture : analyse juridique

Qu’est-ce qu’une reprise ?

Rappelons que la notion de « reprise » vise sa reproduction intégrale. Et que par principe, toute reproduction intégrale ou même partielle d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur est illicite (article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle) : nous sommes de nouveau face au monopole d’exploitation appartenant à l’auteur.

Une 4ème de couverture est-elle une œuvre indépendante ?

Le même raisonnement que pour un résumé de revue peut être suivi.
La 4ème de couverture est en général rédigée par les services de promotion ou de communication de l’éditeur. Il s’agit en général d’une présentation promotionnelle de l’œuvre, dont l’aspect littéraire, culturel ou commercial varie selon les types d’ouvrages (fiction et littérature, histoire, professionnel ou documentaire…) Il peut arriver que l’auteur intervienne ou fournisse un texte. Quoi qu’il en soit, il n’est absolument pas douteux que ce texte constitue une œuvre en tant que telle au sens du droit d’auteur.

Une reproduction totale d’une 4ème de couverture est-elle illicite ?

Le contexte dans lequel un tel texte est produit par l’éditeur amène à se poser légitimement la question de la licéité éventuelle de la reproduction de celle-ci : dans le jargon des éditeurs, ce texte se nomme un « prière d’insérer », désignant en cela sa finalité seconde : il s’agit d’un texte que tous les promoteurs de l’édition et de la librairie (libraires, librairies en ligne, presse littéraire ou d’information grand public ou professionnelle) sont priés d’utiliser. En général c’est ce texte qui est envoyé aux médias dans le cadre de la campagne de lancement de l’ouvrage.

Il y a là trace d’une cession implicite de droits d’exploitation au profit de toute personne ou organisme qui assurera par le biais d’un tel texte, la promotion de l’ouvrage, en attirant l’attention des lecteurs potentiels sur le sujet traité, l’intérêt du travail réalisé, etc.

Les limites d’une cession de droits d’exploitation

De là à trancher définitivement en faveur d’une licence d’exploitation implicite concédée à tous, il n’y a qu’un pas que le juriste se garderait bien de franchir.

Rappelons que le principe de la cession de la part d’un auteur (de lui-même ou via un intermédiaire dument mandaté tel qu’un éditeur) d’un périmètre d’exploitation sur son œuvre est celui d’une cession spéciale : celle-ci ne vaut que pour les personnes désignées dans l'acte de cession.
Le terme de prière d’insérer, sans autre adresse, semble inviter toute personne qui voudrait reprendre le texte dans le but d’en faire la promotion à l’utiliser librement.
Mais en cas de contentieux, rien n’interdirait à un éditeur de plaider que cette cession implicite ne vaut que pour une réutilisation publique, dans un but de promotion commerciale, et non d’une réutilisation dans le cadre fermé de l’activité documentaire d’une entreprise ou dans le cadre public mais limité et non commercial d’une bibliothèque publique…

Un contentieux contre-performant et peu probable…

Un tel raisonnement serait bien sûr contre-performant et pourrait se retourner contre l’éditeur et l’auteur qui se lanceraient dans un tel contentieux, au demeurant fort hypothétique sur le plan de l’intérêt économique vu l’écart entre la modicité de l’investissement à défendre et le coût d’un procès, dont l’issue serait de surcroît très incertaine sur ce terrain.

Une publicité positive pour l’auteur et son œuvre ?

L’argument selon lequel on fait plutôt de la publicité à l’ouvrage et donc qu’ « on ne fait rien de mal » doit toujours être manié avec précaution : cette notion de publicité peut être vécue différemment du point de vue de l’auteur ou de son ayant-droit ou ayant-cause, comme l’illustre le contentieux Utrillo évoqué ci-dessous.

Des précédents jurisprudentiels favorables aux deux parties

Nous citerons deux contentieux, l'un favorable à la fonction documentaire, l'autre favorable à l'auteur.

Rappelons-nous l’affaire Le Monde c/ Microfor, toujours elle : bardés de certitudes sur le droit d’auteur, les avocats du Monde ont lancé une procédure qui au bout de 10 ans allait se retourner contre le célèbre éditeur de presse. C’est qu’entre temps, la Cour de cassation avait enfourché le cheval de bataille de la « liberté documentaire » — selon la belle expression du Professeur Jérôme Huet —, refusait de prendre en considération l’atteinte au droit moral et affirmait que toute production de bases de données de références bibliographiques était libre en droit français.

Mais rappelons aussi que certains auteurs, ayants-droit (héritiers) ou ayants-cause (éditeurs ou autres cessionnaires contractuels de droits d’exploitation) n’hésitent pas à tirer contre leur camp et sont parfois suivis par la justice. Il en fut ainsi pour l’ayant-droit du défunt peintre Maurice Utrillo qui fit condamner un commissaire-priseur qui avait osé insérer l’image de deux tableaux et d’un dessin du peintre sous forme d’images de petit format dans un catalogue de vente aux enchères, sans son accord. Au terme de 6 années de procédure, la Cour de cassation n’a pas pu faire autrement que de constater que « la reproduction intégrale d’une œuvre, quel qu’en soit le format, ne pouvait s’analyser en une courte citation » invoquée par les avocats de la défense, et confirmer dès lors la condamnation du commissaire-priseur pour reproduction illicite (Assemblée Plénière, 5 novembre 1993). Cette dernière affaire aboutit d'ailleurs quelques années plus tard (27 mars 1997) à l’introduction dans la loi d’une nouvelle exception sur mesure pour les seuls commissaires-priseurs dans le cadre des ventes judiciaires qu’ils organisent.

Des solutions pratiques ?

Comme pour la reprise de résumés préexistants, nous recommanderions plutôt de panacher de courts extraits de la 4ème de couverture et ceux d’autres textes, en respectant les conditions requises pour satisfaire à l’exception de courte citation (guillemets, source, etc.) Ce peut être par exemple, le texte de la présentation de l’ouvrage sur le site Internet de l’éditeur, parfois distinct, en tout ou partie, de cette fameuse 4ème de couverture.

En savoir plus

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Voir également l’arrêt laconique de la Cour de cassation, précité, mettant fin à l’affaire Utrillo : www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?&idTexte=JURITEXT000007031599

Didier FROCHOT