Google de nouveau en justice pour e-réputation négative

Historique

Depuis le 27 août 2008, le moteur Google français a intégré un module de suggestions de recherches, nommé Google Suggest (notre actualité du 28 août 2008) suivant en cela l'exemple de Yahoo! qui l'avait proposé un an plus tôt (septembre 2007). Plus récemment est apparue au bas de la première page de résultats une petit tableau des Recherches associées qui fonctionne semble-t-il sur le même principe.

Un risque d'e-réputation négative évident

Nous avions très tôt alerté sur les risques de voir apparaître des associations de mots malheureuses via la suggestion de recherches (notre actualité du 17 octobre 2008) notamment pour les questions d'e-réputation (web-réputation, cyber-réputation, réputation numérique, comme l'on voudra).

L'affaire Direct Énergie

Cela n'a pas manqué d'arriver avec la première affaire "direct énergie arnaque" qui était la première des dix suggestions de recherche associées à la marque Direct Énergie. Cette affaire est toujours pendante devant les tribunaux puisque, condamnée plus légèrement en appel que par les premiers juges, la société mère Google Inc. s'est pourvue en cassation.

L'affaire CNFDI

Entre temps une autre affaire est apparue. Cependant que la Cour d'appel de Paris allégeait la sanction dans la précédente affaire le 9 décembre 2009, le TGI (Tribunal de grande instance) de Paris avait à connaître le 4 décembre, d'une autre affaire visant Google Suggest. Le CNFDI, organisme privé de formation à distance se plaignait de voir son sigle associé au mot "arnaque" via le système de suggestion de Google. Le tribunal condamnait alors Google Inc. solidairement avec le directeur de la publication de Google France, à retirer cette association sous une astreinte de 1500 € par jour de retard, à compter d'un mois à partir de la décision des juges, et les condamnait à 1 euro de dommages-intérêts et à 7000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour les frais de justice du plaignant). L'intérêt était aussi que le jugement était déclaré exécutoire, ce qui veut dire en clair que les voies de recours (en appel puis en cassation) ne suspendent pas l'exécution du jugement. Précisons que Google a interjeté appel de cette décision, et que donc la présomption d'innocence joue en sa faveur tant que la condamnation n'est pas définitive. 

La nouvelle affaire P. X.*

Le TGI de Paris vient de se pencher, dans un jugement du 8 septembre dernier, sur une affaire très proche de la précédente, mais mettant en cause à la fois Google Suggest et les Recherches associées de Google.
Se débattant dans une affaire pénale pour laquelle il clame toujours son innocence — et toujours présumé innocent puisqu'il s'est pourvu en cassation et n'a donc jamais été emprisonné —, le plaignant a attaqué Google au motif que :

  • Le système Google Suggest associait à l'appel des premières lettres de son nom, notamment les mots "condamné" et "prison" ;
  • Les Recherches associées proposent à la suite d'une recherche sur son nom les mêmes mots que pour Google Suggest, mais aussi — entre autres — "procès" et "justice", ces deux derniers mots ne faisant pas l'objet de l'assignation en diffamation.

Le TGI de Paris, reprenant les termes de sa précédente décision, plusieurs fois citée dans le jugement, condamne solidairement Google Inc. solidairement avec le directeur de la publication de Google France, à retirer ces associations de mots sous une astreinte de 500 € par jour de retard, à compter d'un mois à partir de la décision des juges, et les condamne également à 1 euro de dommages-intérêts et à 5000 € pour les frais de justice du plaignant. Le jugement est également déclaré immédiatement exécutoire. Google va très certainement interjeter appel de cette décision qui n'est donc qu'une étape dans la procédure et qui ne saurait porter atteinte à la présomption d'innocence de la société, conformément à la loi française.

Ce qui est intéressant dans ce jugement, c'est le raisonnement des juges, notamment quant à la qualification de diffamation. Il reprend à peu de mots près le raisonnement déjà soutenu dans l'affaire du CNFDI. Mais là où ils vont plus loin c'est sur les Recherches associées qui sont pour la première fois examinées en justice.

Neutralité technique ?

Cela permet aux juges de constater que les résultats sont différents entre Google Suggest et les Recherches associées, différences qui jettent fortement le doute sur le caractère purement automatique et donc "neutre" du double système de suggestion de Google, différent lui-même des suggestions proposées par Yahoo! sur son moteur. Les juges relèvent ainsi que "loin de la neutralité technologique prétendue des deux services en cause, par leur libellé même, les items de recherche litigieux sont incontestablement de nature à orienter la curiosité ou à appeler l’attention sur les thèmes qu’ils proposent ou suggèrent..."

Tout comme dans le jugement du 4 décembre 2009, le tribunal relève que Google invite ses internautes "à signaler “des requêtes qui ne devraient pas être suggérées”, de sorte que le tribunal est fondé à comprendre qu’une intervention humaine est possible, propre à rectifier des suggestions jusqu’alors proposées". Poursuivons le raisonnement des juges : pourquoi dès lors avoir ignoré la demande de retrait à l'amiable du plaignant ?

La qualification de diffamation retenue

Sur la question de la diffamation, conformément aux articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation et injure), les juges retiennent que "L’affichage non sollicité des expressions ... [certaines déjà citées ci-dessus], fait nécessairement peser sur l’intéressé sinon une imputation directe de faits attentatoires à l’honneur ou à la considération du moins la suspicion de s’être trouvé compromis dans une affaire [pénale], ... d’avoir été condamné ou d’avoir fait de la prison. Ces propositions, prises séparément, et plus encore associées les unes aux autres, constituent ainsi, au moins par insinuation, des faits précis susceptibles de preuve et évidemment de nature à jeter l’opprobre sur qui en est l’objet".

Mise en cause logique du directeur de la publication de Google France

Invoquant sa non intervention dans le fonctionnement du moteur américain, le directeur de la publication de Google France se voit tout de même condamné solidairement avec la société mère Google Inc. par simple application de la responsabilité de premier rang du directeur de la publication, qu'il s'agisse d'une publication de presse papier (loi du 1881) audiovisuelle (lois du 29 juillet 1982 et du 30 septembre 1986 modifiées) ou comme en l'espèce sur Internet (lois du 29 juillet 1982 et du 21 juin 2004, dite LCEN, article 6).

L'absence de fixation préalable du message délictueux (exonérant en principe le directeur de la publication) est écartée puisque précisément les dirigeants de Google expliquent eux-mêmes que le système affiche les requêtes les plus fréquemment effectuées et stockées par eux pour traitement statistique.

Un pas de plus dans la lente évolution du contentieux de l'e-réputation

Bien entendu, cette affaire est à suivre comme les autres puisque les procédures ne sont pas closes. Mais il nous semble que les juges affinent peu à peu leurs raisonnements pour une meilleure régulation de l'Internet. Et que le TGI de Paris n'a pas l'intention de suivre la solution plus laxiste adoptée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt précité du 9 décembre 2009.

Voir les décisions de justice citées sur l'excellent site de veille sur le droit de l'information,  Légalis.net :

Direct Énergie :

Tribunal de Commerce de Paris 7 mai 2009 — Ordonnance de référé :
www.legalis.net/article.php3?page=jurisprudence-decision&id_article=2687
Cour d'appel de Paris, Pôle 1, 2ème chabmre, 9 décembre 2009 :
www.legalis.net/article.php3?page=breves-article&id_article=2804

CNFDI :

TGI Paris, 10 juillet 2009 — Ordonnance de référé :
www.legalis.net/breves-article.php3?id_article=2694
TGI Paris, 4 décembre 2009 :
www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2817

Affaire P.X. : encore inédite sur Internet au moment ou nous publions cette actualité.


* NB : Rappelons qu'un avis de la CNIL a recommandé d'anonymiser les décisions de justice publiées ou évoquées sur Internet, s'agissant des personnes physiques (données à caractère personnel, protection de la vie privée et droit à l'oubli numérique). Nous suivons bien sûr cette recommandation.
Par ailleurs, nous n'avons volontairement pas repris tous les mots suggérés par Google et qui sont diffamatoires à l'encontre du plaignant. L'intérêt juridique nous paraît ici le seul qui importe, et non des mots qui pourraient entretenir des rumeurs.

Voir aussi notre offre en e-réputation : http://notre-offre.les-infostrateges.com/competence/e-reputation
Voir notre dossier spécial E-réputation : http://www.les-infostrateges.com/article/0807348/dossier-special-e-reputation

Didier FROCHOT