De l'hypertexte à l'hypertag

Sur la notion d’hypertexte

La notion d’hypertexte a été "prophétisée" par l’américain Vannevar Bush dans son célèbre article intitulé « As we may think » paru en 1945. Dénonçant les limites des systèmes de classement classiques qui figent quelque peu l’information stockée, il s’appuie sur le fonctionnement du cerveau humain (l’homme « fonctionne par association ») pour plaider en faveur de l’organisation de l’information par association d’idées. Selon lui, cette nouvelle approche est susceptible d’optimiser l’accès aux savoirs et donc d’offrir de nouvelles possibilités aux utilisateurs habitués à une lecture linéaire et donc trop figée.
Se profile ainsi un concept que Ted Nelson nommera vingt ans plus tard Hypertexte. Ce sociologue et philosophe américain veut aussi libérer le lecteur du concept de linéarité. Ainsi, l’hypertexte implique une autre façon d’appréhender la lecture mais également l’écriture surtout lorsque le contenu est libéré des contraintes du support papier. La non-linéarité offerte par l’hypertexte permet donc d’envisager une multitude de lectures possibles d’un même document en fonction des besoins de l’utilisateur. Laissons la parole à Ted Nelson : « Par hypertexte, j’entends simplement écriture non séquentielle. (...) Il y a deux arguments essentiels en faveur de l’abandon de la présentation séquentielle. Le premier est qu’elle dégrade l’unité et la structure du réseau du texte. Le deuxième est qu’elle impose à tous les lecteurs une seule et même séquence de lecture qui peut ne convenir à aucun. » (« Literary Machines 90.1 » Mindful Press, Sausalito, 1990. (Première édition en 1980))

Ce concept prophétique, pensé bien avant l’apparition du Web, va bientôt inspirer d’autres pionniers de l’informatique et des Technologies de l’information. De Douglas Engelbart avec la mise en place de son interface homme-machine à Bill Atkinson pour HyperCard (Apple) sans oublier évidemment Tim Berners-Lee qui saura faire bon usage du concept d’hypertexte pour bâtir les fondements du World Wide Web.
Aujourd’hui, les liens hypertextes – éléments fondamentaux du Web – sont omniprésents sur les sites Internet. Le principe est simple. Tout élément d’une page web – un mot, une phrase ou encore une image – peut contenir un lien qui renverra vers une autre page issue du même site ou bien hébergée sur un autre serveur à l’autre bout du monde.
Le concepteur d’un site web peut ainsi établir une multitude de liens vers des pages dont le contenu lui semble pertinent. Et de son côté, l’utilisateur peut – en quelques clics de souris – passer d’un site à un autre, d’une ressource francophone à un document anglophone, d’un texte à une image, etc.
Le principe de lecture non-linéaire prend ici toute sa dimension pratique et apporte une certaine liberté à l’utilisateur tant au niveau de la navigation que des choix éditoriaux.


Tags et nuages de tags


L’une des principales innovations du Web 2.0 reste le développement de systèmes de gestion de tags (étiquettes) pour décrire les contenus présents sur un site. Précisons tout de même que si les tags ne sont qu’une réinvention des mots-clés de l'indexation documentaire, l’innovation réside surtout dans l’affichage des nuages de tags.
En effet, ce système offre un nouveau confort de navigation sur les sites web et semble faire écho aux réflexions de Vannevar Bush et Ted Nelson qui cherchaient à apporter plus de souplesse dans les modalités de lecture. C’est à ce titre que le système de tags peut être considéré comme une nouvelle avancée dans le domaine de l’écriture/ lecture non-séquentielles.
Les tags permettent ainsi de s’émanciper de la structure figée d’un site web qui propose en général un classement du contenu par catégories et sous-catégories. Certes, ce système de classement reste important. Mais l’apparition des nuages de tags apporte de nouvelles possibilités au lecteur pour naviguer (et fonctionner) par association d’idées.

Autre avantage des nuages de tags : l’affichage des tags selon une taille de caractères proportionnée au poids d'usage du tag sur le site. Ainsi, le lecteur peut repérer du premier coup d’œil les sujets traités les plus importants sur le site web.
Outre le nuage de tags, il faut noter que la plupart des sites web 2.0 affichent des tags apposés à chaque article. Il s’agit alors des mots-clés associés à l’article en question et qui ont été proposés par le producteur d’information. On touche là à une limite du système de tags notamment quand il s’agit de sites web qui laissent une certaine liberté aux producteurs d’informations pour indexer le contenu. Le risque est alors grand de voir parfois le tag au singulier parfois le même au pluriel quand ce ne sont pas directement des synonymes. Cette trop grande liberté laissée au producteur d’information peut finalement créer des difficultés au lecteur pour repérer au plus vite le contenu qui l’intéresse.

Il n’en reste pas moins que les tags apportent une autre dimension dans le système de lecture non-linéaire. En cliquant sur un tag, l’utilisateur peut accéder directement à une page qui affichera le contenu du site indexé avec ce tag.

Vers le concept d’hypertag

Souscrivant totalement au caractère novateur des systèmes de tags, nous avons voulu pousser la logique un peu plus loin sur le site les-infostratèges. Si les tags apportent une autre dimension dans l’approche non-séquentielle, pourquoi ne pas associer plus étroitement les tags aux liens hypertextes classiques ?
C’est ainsi que nous en sommes venus à proposer le concept d’hypertag qui peut se définir comme le mariage de l'hyperlien et du tag. Il s'agit donc d'un lien hypertextuel sur un mot du texte au sein d’une page web — comme tout hypertexte conceptuel classique, à la manière de Wikipédia — mais qui identifie un tag et renvoie, dans une nouvelle fenêtre (donc sans rompre la lecture), à sa définition, aux articles associés à ce tag ainsi qu’à un nuage de tags contextuel permettant d’affiner encore plus sa recherche d'information.
Un exemple est très visible sur les mots "RSS" et "Agrégateur d'actualité", dans l'article Le Web 2.0 au service de la veille et de la recherche d'information.

Nous sommes partis du principe qu’en abordant la lecture d’un article, l’utilisateur pourrait ne pas être tenté de cliquer soit sur un tag présent sous le titre de cet article, soit dans le nuage de tags localisé souvent à droite de l’écran. Cela semble logique, le lecteur étant plutôt concentré sur le texte lui-même. En revanche, il pourra avoir une approche différente avec l’hypertag qu’il découvrira au cours de la consultation du document. Cet hypertag aura été posé par les animateurs du site pour permettre à l’utilisateur d’aller plus loin sur un concept évoqué dans le corps du document. Sans rompre la lecture – le lien s’ouvrant dans une nouvelle fenêtre – l’utilisateur pourra ainsi découvrir la définition du concept ainsi que les articles et tags associés.

Pour optimiser ce concept d’hypertag, il nous semblait aussi important de nous appuyer sur un usage contrôlé des tags. Nous avons donc marié la richesse des tags à la notion de « langage contrôlé » qui s’illustre concrètement par la présence d’un thésaurus. Les tags que nous utilisons pour décrire les contenus intellectuels appartiennent donc à un langage pré-coordonné, que nous faisons évoluer à mesure des besoins conceptuels du site. Le recours à ce langage contrôlé nous permet donc d’associer des tags entre eux grâce à l’établissement de champs sémantiques. C’est donc ce système qui, au final, permet l’affichage de nuages de tags contextuels lorsque l’utilisateur sélectionne un hypertag.

Par ailleurs, la présence de définitions, étroitement liée au concept d’hypertag, tend à apporter une dimension encyclopédique au site web. Associé au thésaurus, nous glissons vers la notion de base de connaissances au service de l’utilisateur. 

Le concept d’hypertag apporte donc un nouveau confort dans la navigation au sein d’un site web mais permet aussi de mieux accompagner le lecteur vers des unités de connaissances développées par les concepteurs du site.
L’hypertag, c’est le concept de l’hypertexte revisité et optimisé dans un environnement Web 2.0. Mais c’est également l’association des nouvelles technologies émergentes et des anciennes techniques documentaires.
Avec l’hypertag, il devient possible d’optimiser les possibilités de lecture non-linéaire tout en accompagnant mieux l’utilisateur dans  l’accès aux savoirs.


|cc| Fabrice Molinaro – avril 2007

Fabrice MOLINARO