Critique de la loi du 3 janvier 1995

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Ce texte, dans sa version d'origine et hormis l'introduction, est paru dans le Bulletin bibliographique de l'INTD, en janvier 1995.

Une dérogation au monopole de l'auteur

Une des premières caractéristiques qui saute aux yeux, c'est d'abord l'atteinte au monopole de l'auteur, ce qui déséquilibre l'économie générale du droit d'auteur à la française. Ainsi les auteurs se trouvent-ils encore plus démunis pour maîtriser leurs droits. Le paradoxe du système tel qu'il est défini dans la loi est qu'un auteur est même dépossédé de sa faculté de céder son droit à titre gracieux. Nombreux sont pourtant les cas où les auteurs déjà bénévoles et chargés de par leurs fonctions de publier (enseignants-chercheurs) seraient plus tentés de laisser circuler leurs œuvres gratuitement. Avec le dispositif actuel, il ne le peuvent plus. Le système est tel que dès que l'œuvre est publiée, la société de gestion à laquelle ils appartiennent est chargée de négocier en leur nom sur des bases forcément générales et donc payantes. C'est du moins le système qui a été mis en place par le CFC. Ainsi le CFC collecte-t-il des redevances pour des auteurs bénévoles et pour des éditeurs non-membres, tels par exemple que l'ADBS pour sa revue Documentaliste - Sciences de l'information, dont tous les auteurs sont bien sûr bénévoles... Il y a là quelque chose qui heurte la simple logique : toucher des droits d'auteur pour des non membres et qui plus est pour des auteurs bénévoles ! Où l'on s'aperçoit que le droit d'auteur est le juteux prétexte sous lequel sont tapis quelques autres intérêts...

Un système myope

Nous l'avons stigmatisé dans l'introduction de cette partie, cette législation frise le ridicule en mettant en place un corps de règles différent pour les copies papier et assimilées, et semant ainsi une confusion dans l'esprit du public qui croit par exemple que du fait que les copies papier sont interdites par la loi de 95, il suffit de faire des copies électroniques pour contourner l'interdit...
C'était donc gérer à très courte vue que de voter une loi sur ce seul aspect. Il eût mieux valu laisser la mission confiée au Professeur Pierre Sirinelli par le ministre de la culture de l'époque mener à bien son travail sur une refonte de l'ensemble du droit d'auteur plutôt que de forcer les choses et faire voter en urgence une loi, qui en conséquence, est myope puisqu'elle ne règle qu'une petite partie des problèmes posés, et fort maladroitement au demeurant (1).

Une législation votée en faveur de lobbies

Enfin, cette législation a été conçue au ministère de la culture puis votée au Parlement sous l'influence puissante du lobby des sociétés de gestion collective et des éditeurs toujours prompts à se faire voter des lois leur garantissant une sécurité économique laissée dans d'autres pays à la simple loi du marché. Cependant, il est frappant de voir que le lobbying naissant de l'ADBS est resté sans réponse - au sens premier du terme - auprès des instance ministérielles lors de la préparation du projet de loi. Le 30 mai 1994 dans une journée d'étude publique en marge d'IDT94, la question était posée à la représentante du ministère sur l'état des projet de loi en cours. Elle ignora purement et simplement la question à laquelle l'assistance ne parvint pas à la faire répondre. La cause était entendue d'avance de ce côté : il n'était pas question de prendre en compte le point de vue des professionnels de l'information-documentation...

|cc| Didier Frochot - janvier 1995 - janvier 2004

Voir aussi Fiche sur le CFC

Notes :

1. Le Professeur Sirinelli lui-même a apporté de l'eau à notre moulin publiquement dans une journée d'étude de l'ADBS Bretagne, en juin 1995, abondant dans le sens de notre critique de myopie et révélant qu'il avait pour cette raison refusé de rédiger le projet de cette loi...

Didier FROCHOT