Information ou document ? Une profession à la recherche de son identité

Avec la reconstruction de l'après-guerre, dans les pays industrialisés, un métier nouveau naît, à quelques pas de ces chercheurs, tout proche des bibliothèques, voisin des laboratoires de recherche : le métier de documentaliste. On l'a peut-être oublié, tant le mot s'est banalisé dans notre esprit, le mot même de documentaliste est la contraction de deux autres : document et spécialiste. Le (ou la) documentaliste serait donc le spécialiste du document. L'étymologie, même allégorique, offre parfois de singuliers raccourcis...

Mais la profession allait presque exclusivement se développer autour du traitement et de la recherche de documents et d'informations glanés, traqués, captés à l'extérieur de l'entreprise ou de l'organisation au sein de laquelle elle œuvrait. Les centres de documentation, puis les services de veille sont devenus dans les cas les plus achevés, le regard intelligent de l'entreprise sur son environnement.

Le prestige de l'information

Vingt ans après... la profession, en mal de reconnaissance, cherche à échapper à ses origines documentaires pour accéder au statut, jugé plus valorisant, de spécialiste de l'information. Un pays francophone saute même le pas en adoptant délibérément un nouveau nom pour ce métier : informatiste (le Maroc). A l'ADBS (alors Association française des documentalistes et bibliothécaires spécialisés) on chuchote que les informaticiens "nous ont pris" le seul terme qui corresponde à notre activité. La réflexion aboutit positivement au changement de développement du nom de l'association, qui garde son sigle, mais s'intitule désormais (depuis 1993) : Association des professionnels de l'information et de la documentation. Compromis encore inavoué entre deux tendances : doit-on arborer bien haut la bannière de l'information mise à l'honneur par les penseurs du management, ou doit-on camper sur nos bons vieux documents, même s'ils peuvent paraître poussiéreux, coûteux et improductifs ?

En vérité, la question à l'origine ne s'était pas posée en termes si tranchés. C'est la simplification du slogan qui a radicalisé le propos. Au départ, les documentalistes voulaient revaloriser leur fonction en soulignant que leur matière première n'était pas le document, simple support, mais l'information qu'il véhicule. Et l'auteur de ce texte a participé à cette évolution en tant que responsable de l'ADBS à divers niveaux. A trop vouloir mettre en lumière l'information on a perdu dans le discours la mention de son support dont elle est absolument indissociable.

Les enjeux documentaires de l'entreprise

A la même époque, les organisations, enivrées par leurs flux d'information, commençaient à chercher à maîtriser un nouveau problème. Le "zéro-papier" promis par les thuriféraires de l'informatique n'avait converti ni les bureaux, ni les usines. Il semblait même que l'inflation informationnelle, due en partie, au morcellement grandissant des domaines scientifiques et techniques et associée à la complexité croissante de l'organisation des entreprises, ait provoqué une explosion du papier et en tout cas une démultiplication des documents dans l'entreprise. Se posait alors la question cruciale de la gestion des documents, de leurs versions successives, de leur maintenance, de leur mise à jour, de leur stockage, de leur sauvegarde... le tout associé bien sûr à des questions de coûts, de rentabilité, de gains de productivité, de compétitivité, des avantages concurrentiels, pour tout dire.

Dès lors, aux yeux des organisations, les documents allaient retrouver un statut, des fonctions et des missions parées de vertus nouvelles. Les entreprises étaient mures pour rencontrer des professionnels aptes à résoudre ces problèmes.
Or, les spécialistes du document que sont les documentalistes n'étaient pas au rendez-vous dans les premiers temps, confinés qu'ils étaient dans leur activité de documentation externe à l'entreprise et convertis au culte de l'information, là où les managers ne juraient plus que par le concept de gestion des documents. Les documentalistes sont pourtant les plus à même aujourd'hui de résoudre toutes les questions de traitement de l'information et des documents, par les méthodes et techniques intellectuelles qu'ils maîtrisent. Il semble qu'ils intègrent progressivement cette nouvelle dimension, ce nouveau service documentaire à rendre aux entreprises.
Ainsi naît peu à peu le concept d'ingénierie documentaire, avec une nouvelle ambiguïté. En effet "ingénierie documentaire" devrait exclusivement signifier génie - au sens utilisé dans l'expression génie civil - mis au service des questions documentaires. Par exemple devrait relever de l'ingénierie documentaire, la conception d'un centre de documentation, même si celui-ci ne faisait appel à aucune technologie de l'information. Or une dérive de ce concept, nouvel héritage du mythe informatique, fait qu'on sous-entend trop souvent sous ce terme la mise en place d'un système informatisé ou d'un système de GED (gestion électronique de documents).

Ce qui précède explique, en grande partie, la présence des informaticiens là où ils n'ont en principe rien à faire. L'informaticien est un prestataire de service de solutions informatiques et non un décideur qui prend en main la gestion de l'information et des documents. Mais comme les vrais professionnels de l'information, nous l'avons dit, n'étaient pas présents et n'ont pas été en mesure de revendiquer la maîtrise d'œuvre des projets, ceux-ci se sont retrouvés pris en main par les informaticiens. Il est invraisemblable que dans un nombre encore trop important d'organisations, le projet Intranet ou Internet soit confié au service informatique - dont les personnels ne sont parfois absolument pas formés pour ce faire. Ce sont pourtant, avant tout, des projets de communication et d'information. Et principalement d'information communiquée ; cette formulation affirmant la prééminence des spécialistes du traitement de l'information sur ceux de la communication.
Tel est donc aujourd'hui un peu partout le handicap à remonter, et qui est en train de l'être. Il est certain que l'Internet est l'immense chance des professionnels de l'information-documentation, pour peu qu'ils sachent s'y imposer. En effet, Internet est consubstantiel à la fonction information-documentation. Une des preuves en est que pour la première fois, on ne parle plus dans la presse de manière négative des documentalistes. Même ce vieux mot poussiéreux s'est trouvé revalorisé... à condition de l'associer à la racine cyber : cyber-documentaliste. Ce préfixe, qui participe du mythe de l'Internet et du cyberespace a une fonction magique : il purifie les mots devenus vétustes !

|cc| Didier Frochot — 1998 — décembre 2003

Voir aussi :

Document et information — Concept de société de l'information

Didier FROCHOT