La codification

On pourrait dire, dans une première définition, qu'il s'agit d'un essai de clarification et de lisibilité des règles de droit, en vue de les communiquer au public.

Dans un premier temps, nous présentons les objectifs de la codification française. Nous examinons ensuite, d'une part les codes classiques, et d'autre part les codes modernes. Nous terminons en jetant un œil sur le nouvel élan codificateur français et sur la codification européenne.

En France, l'idée de codes reprenant l'ensemble des règles de droit avait germé sous l'Ancien régime. Des projets étaient en cours de réalisation lorsque survint la Révolution. C'est au Premier consul Bonaparte qu'il revint de réaliser cette tâche, et c'est ainsi que son nom est resté associé dans l'histoire, à l'œuvre de codification.

Les buts de la codification

La codification poursuit plusieurs buts.

Un code, organisateur du droit

Un code a pour objectif premier de réorganiser l'ensemble des règles d'un grand domaine du droit. Il a donc un rôle de structuration de cette matière. Il permet au passage d'éviter, et au besoin de repérer, les incohérences du système juridique ainsi construit.

En droit français, le travail législatif est très soigné et les contrôles sont nombreux (notamment par le biais du Secrétariat général du Gouvernement). De sorte qu'il est rare de trouver des incohérences, voire des contradictions, dans les diverses règles que le législateur produit. Mais il est certain qu'un travail de remise en perspective de tout l'édifice intellectuel tel que celui de la codification garantit plus encore contre les incohérences et les contradictions éventuelles.

Un code, outil de lisibilité du droit

Un code a pour but de rendre le droit plus lisible aux yeux du citoyen. À la place du flot juridique produit au jour le jour et de manière forcément éparse, le citoyen va pouvoir trouver sous une présentation méthodique et raisonnée, toutes les règles auxquelles il doit se conformer, ou tous les droits qu'il peut revendiquer.

D'une certaine manière, le travail de codification est un travail documentaire. Il y a un réel effort de recherche des règles de droit qui régissent un domaine afin de les présenter de manière cohérente et donc plus simplifiée aux sujets de droit (1).

Pour une simplification du langage juridique

Pour que l'effort d'accessibilité du droit soit complet à l'égard du public, il conviendrait, non plus seulement de codifier les règles de droit, mais aussi de les rendre intelligibles par une simplification judicieuse du vocabulaire et par des présentations synthétiques des grandes règles de droit, sous forme de tableaux, schémas, etc. Ce nouvel effort semble bien être en train de prendre corps avec le thème de l'accès aux données publiques et de tous les travaux mis en chantier autour de ce débat par le gouvernement français ainsi que par les autorités européennes. Les nombreux sites Internet de vulgarisation et de présentation synthétique du droit, tant d'origine publique que d'initiative privée, sont une illustration de cet effort. On peut citer les rubriques "vos droits et démarches" de la partie "particuliers" ou "professionnels" du site Service-public.fr géré par la Documentation française. L'union européenne s'efforce depuis quelques mois de publier des synthèses des traités, directives ou règlements publiés sur son site (voir le chapitre présentant Eur-Lex).

Les codes français

Abordons à présent les différents types de codes connus en France. La distinction entre codes classiques et codes modernes réside essentiellement dans la présentation des textes et dans la numérotation des articles.

Les codes classiques

Les codes du consulat

Le 1er élan codificateur français remonte donc au Consulat. À cette époque sont nés plusieurs codes. Le premier en date fut le code civil (1804). Le suivant fut le code de procédure civile (1806), puis le code de commerce (1807). Furent également publiés le code d'instruction criminelle (équivalent de notre actuel code de procédure pénale, 1808) puis enfin le code pénal (1810). Ce sont ces codes qui constituent le modèle de la codification dite classique.

Plan à trois niveaux

Certains des éléments de présentation sont communs à la codification classique et la codification moderne. Ainsi en est-il de l'articulation des textes. Ce terme signifie que les textes sont rédigés sous forme d'articles. De même, dans un code classique comme dans un code moderne, la division des matières traitées est toujours la même. Un code est divisé en livres, titres, et chapitres. Il peut arriver que sous les chapitres soit créées des sections, voire des paragraphes. Mais la grande triple division d'un code est toujours celle- là même. Cette triple division va jouer un rôle essentiel dans un code moderne. Il peut aussi arriver qu'au-dessus des livres, en premier niveau, existent des grandes Parties.

Numérotation en continu

Dans un code classique, l'ensemble des articles est numéroté en continu. Ainsi le code civil voit-il ceux-ci numérotés des articles 1er à 2283.
La présentation sous forme de code classique a prévalu jusqu'au milieu des années 1950. C'est vers cette époque qu'on a commencé à adopter le système de présentation des codes modernes.

Les codes modernes

Une division à trois niveaux repérable

Comme on vient de le voir, le point commun d'un code classique et d'un code moderne est sa division sur trois niveaux. C'est précisément cette division qui va fonder l'organisation d'un code moderne. Au lieu d'être numérotés en continu, les articles vont recevoir une numérotation qui traduit leur position dans le code par rapport aux trois niveaux de plan indiqués. Les articles vont recevoir une numérotation indiciaire à 3 chiffres. Le chiffre des centaines correspond au numéro du livre. Le chiffre des dizaines correspond à celui du titre. Et le chiffre des unités correspond à celui du chapitre. Ainsi, les articles du chapitre 1 du titre 1 du livre 1, prendront le numéro 111. On donnera ensuite un sous-numéro d'ordre à chaque article. Le tout 1er article d'un code moderne sera numéroté 111-1. Pour les codes sur-divisés en parties, comme le Code général des collectivités territoriales ou le nouveau Code du travail, un chiffre des milliers permet de repérer la partie, de sorte qu'on aura affaire au premier article numéroté 1111-1.

La distinction des sources

Une deuxième distinction par rapport à la codification classique sera la distinction entre les types de textes présentés. Là où la codification classique présentait indifféremment des textes émanant de lois ou de règlements, la codification moderne va s'attacher à séparer les différentes sources de droit. Il y aura une partie législative et une partie réglementaire dans un code moderne. On poussera même parfois la distinction en séparant la partie réglementaire en une partie réglementaire proprement dite (décrets pris en Conseil d'État), et une partie dite décrétale (décrets simples). Les numéros des articles de la partie législative seront tous précédés de la mention «L». Et les numéros des articles de la partie réglementaire seront précédés d'un «R». Si elle est présente, la partie décrétale recevra la lettre « D » (2).
Le 1er article de la partie législative d'un code sera donc l'article L.111-1. Et le 1er article de la partie réglementaire, l'article R.111-1.

La meilleure illustration des codes modernes est la transformation du code du travail dans les années 70. La plupart des codes promulgués depuis cette période obéissent à la codification moderne. On peut parfois y trouver des entorses aux règles que nous venons d'énoncer. Mais le travail de la dernière Commission supérieure de codification, installée en 1989, est de veiller à ce que les règles soient respectées (3).

en octobre 2015, on a cependant rencontré un bel exemple de pragmatisme qui fait entorse à l'une des règles que nous venons d'énoncer : la séparation des sources. Le nouveau Code des relations entre le public et l"administration ne comporte qu'une partie unique, laquelle groupe dans un même corpus les articles L, R*, R et D au fil du code, avec un numérotation interne unique. Le principe de séparation des sources n'est pas altéré en ce sens qu'il est aisé, à la lecture du numéro d'article, de repérer d'un coup d'œil si l'on a affaire à un texte issu d'une loi, d'un décret en Conseil d'État ou d'un décret simple. Mais l'ensemble des articles est mélangé en une seule présentation, ce qui ne manque pas non plus de commodité.

Qualités des codes modernes

Cette présentation est beaucoup plus rationnelle. Elle permet immédiatement, à la simple lecture du numéro d'un article, de savoir à quelle partie du code il appartient, et de quelle source juridique il émane (la loi ou le règlement).

Le nouvel élan codificateur en France

Historique

Depuis la deuxième guerre mondiale, deux instances de codification se sont succédées en France. Cela montre que depuis lors, la codification est une préoccupation continue des pouvoirs publics. La première instance a été créée en 1948 (4). La deuxième Commission supérieure de codification est rattachée directement au premier ministre qui la préside officiellement (5). Mais la présidence effective est assurée par son vice-président, actuellement M. Guy Braibant, président de section au Conseil d'État.

Caractéristiques de l'actuelle codification

D'une part, on codifie à droit constant. Ce qui signifie qu'on ne modifie jamais le droit dans une opération de codification. On va simplement reprendre l'ensemble des textes qui existent dans un domaine et on va les remettre en forme, les réorganiser, les présenter selon un plan rationnel. Un classement documentaire en quelque sorte...
D'autre part, on va respecter le parallélisme des formes pour la promulgation des différentes parties d'un code. La partie législative sera promulguée par une loi et la partie réglementaire sera promulguée par un décret en Conseil d'État. Les précédentes opérations de codification contemporaines (sous l'empire de la première commission) avaient toutes été opérées globalement par un décret en Conseil d'État. On considérait alors que la simple remise en forme de textes préexistants n'entraînait pas de conséquences telles qu'il faille importuner le législateur pour si peu...
A titre d'exemple, pris dans le droit de l'information, la partie législative du code la propriété intellectuelle a été promulguée par une loi du 1er juillet 1992. Elle a abrogé formellement l'ensemble des textes qu'elle réintégrait dans le code. Par exemple, la loi du 11 mars 1957, relative à la propriété littéraire et artistique, a été abrogée... pour se retrouver mot pour mot, redistribuée dans le livre 1er du code. La partie réglementaire du même code n'a été publiée que par un décret du 10 avril 1995. Celui-ci a parallèlement abrogé l'ensemble des dispositions réglementaires qu'il reprenait. Des tables de concordance entre les articles des anciens textes et ceux du code sont publiées par les différents éditeurs et maintenant sur Légifrance, afin que les praticiens puissent s'adapter.
En pratique, l'opération de codification de la partie législative d'un code ne nécessitant pas forcément de débats devant les deux assemblées, le Parlement habilite le plus souvent de Gouvernement à procéder à la codification de cette partie par voie d'ordonnance. Et de fait, toutes les parties législatives des récents codes ont été ainsi promulguées.

La consécration législative

Les opérations de codification étaient jusque là considérées plutôt comme de la cuisine juridique. Les nouveaux principes adoptés par la plus récente des commissions vont vers une prise en compte de la codification dans toute sa mesure, avec notamment le respect du parallélisme des formes.
C'est dans ce cadre que pour la première fois semble-t-il, une loi mentionne la codification et en donne même une définition. C'est la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui dans son article 3 dispose :
« La codification législative rassemble et classe dans des codes thématiques l'ensemble des lois en vigueur à la date d'adoption de ces codes.
Cette codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmoniser l'état du droit.
»

La codification européenne

Une préoccupation précoce

L'Union européenne, dans le cadre de son effort de transparence des activités institutionnelles et du droit communautaire, a mis en chantier de longue date (6) une réflexion sur une plus grande accessibilité du droit de l'Union. Cette accessibilité passe naturellement par une codification des textes communautaires.

L'accord inter-institutionnel du 20 décembre 1994 (7) prend acte d'une méthode de travail accélérée pour la codification des textes législatifs. La procédure décrite dans cet acte consacre les principes déjà connus en droit français : codification avec abrogation et re-promulgation des textes et codification à droit constant.

Dans la droite ligne de cet accord, et à la suite du Conseil européen de Lisbonne du 24 mars 2000, une importante communication de la Commission au Parlement et au Conseil définit les grandes lignes de la « Codification de l’acquis communautaire » (COM/2001/645 final, du 21 novembre 2001).
La Commission est chargée de veiller à cette codification. En son sein a été créé un groupe de codification qui dépend du Service juridique. C'est dans ce cadre que le Parlement a confié en 2003, à des juristes, l'élaboration d'une proposition de code civil européen.

En réponse à deux rapports de la Commission sur le thème « mieux légiférer » dans le cadre des principes de subsidiarité, de 2000 et 2001, une résolution du Parlement européen (P5 TA/2003/0143 – JO C du 12 mars 2004 p. 135) appelle la Commission à présenter un programme complet de codification avec des délais contraignants (point 8). La Commission a encore communiqué sur la « Mise en œuvre de l’action-cadre “mettre à jour et simplifier l’acquis communautaire” » (COM/2004/432 final).

Une notion de codification élargie

À la lecture de ces divers documents, il apparaît que le mot « codification » s’élargit par rapport à la définition classique. La préoccupation des diverses instances, à commencer par la Commission, est de réduire le volume de textes, notamment les actes modifiés plusieurs fois, d’abroger les textes caducs afin de faciliter l’accès le plus direct aux textes dans leur version en vigueur et donc directement exploitable par tout ressortissant. Le terme de codification embrasse dès lors les techniques de regroupement et de liaisons entre les textes afin de mieux s’y retrouver. Sous ce terme peuvent donc se retrouver tous les traitements techniques, comme par exemple le système de la double visualisation des textes, le renvoi aux textes cités et citant, etc. Ceci rejoint donc l’autre chantier lancé également dès 1971 (une résolution du Conseil date du même 26 novembre 1974) de l’automatisation de la documentation juridique. Ces deux chantiers, menés de front ont mené aux instruments documentaires en ligne que nous décrivons dans les chapitres présentant les grands sites de l’Union européenne.
 

|cc| Didier Frochot - novembre 2003 - avril 2016

Notes :


1. Sur cet aspect de la codification, cf. La codification : une démarche d'information pour favoriser l'accès au droit ? / Éve-Marie Facomprez. - Mémoire du DESS de l'INTD (Institut national des techniques de la documentation). - octobre 1997.
2. La circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires, rappelle dans son paragraphe 2.1.2 les distinctions possibles : LO (lois organiques), L (lois), R (décrets en Conseil d'État et décrets simples), éventuellement A (arrêtés). Les décrets simples sont cependant signalés par la lettre D et la circulaire recommande « à l'avenir » de les fondre dans la partie R au sein d'un même numérotation. D'autres distinctions sont proposées : les articles R* visent les décrets en Conseil d'État pris en conseil des ministres, R les décrets simples en Conseil d’État pris en conseil des ministres et D les décrets simples signés du premier ministre.
3. Preuve en est la circulaire précitée.
4. Décret n°48-800 du 10 mai 1948 instituant une commission supérieure chargée d'étudier la codification et la simplification des textes législatifs et réglementaires.
5. Décret n° 89-647 du 12 septembre 1989 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission supérieure de codification abrogeant les dispositions de 1948 à 89.
6. Résolution du Conseil du 26 novembre 1974 relative à la codification de ses actes juridiques - JOCE C du 28 janvier 1975, évoquant les premières tentatives de codification indicative et émettant le souhait d'adopter une codification plus systématique.
7. Accord inter-institutionnel 96/C 102/2 du 20 décembre 1994, Méthode de travail accélérée pour la codification officiels des textes législatifs - JOCE C du 4 avril 1996 (acte modifié).

Didier FROCHOT