Dépôt du nom de domaine d'un client et abus de confiance

Nous avons déjà dénoncé, voici plus de 10 ans, certaines pratiques douteuses de la part de prestataires en développement de sites web (notre article "Développement de sites web : les bonnes pratiques juridiques et professionnelles" dans notre Dossier spécial Droit de l'Internet).

Cette question vient de se retrouver dans nos activités professionnelles et il nous semble utile de rappeler quelques évidences pour faire réfléchir certains professionnels qui ne s'encombrent pas des contraintes juridiques.

Il se trouve que le développeur professionnel du site web d'un de ses clients a déposé le nom de domaine de ce site sous son propre nom, au lieu de le déposer au nom et pour le compte de son client, comme il se doit, en vertu d'un contrat de mandat dûment passé entre le client et le prestataire, ainsi que nous l'avons toujours fait dans le cadre de nos missions de création de sites web. Un différend étant apparu quant aux paiements des prestations, le prestataire a bloqué le site et prétend être "propriétaire" du nom de domaine et en conséquence avoir "le droit de faire ce qu'il veut".

Même en l'absence d'un contrat dûment rédigé et signé, il est impossible d'imaginer que le prestataire puisse être considéré comme le propriétaire du nom de domaine. Plusieurs arguments et analyses juridiques vont à l'encontre de ce raisonnement simpliste.

Le prestataire déposant, cybersquatteur

Lorsqu'un client confie à un prestataire la réalisation d'un site, avec à la clé le dépôt du nom de domaine qui convient, il est absolument évident que ce client s'attend à ce que le site et le dépôt du nom de domaine soient effectués en son nom et pour son compte en échange des sommes qu'il paie, et non pour le compte du prestataire. En conséquence, en l'absence de précisions, le prestataire se doit de déposer le nom de domaine pour le compte de son client, et pour y parvenir, doit se faire mandater par ce dernier. Comme nous l'avions déjà signalé dans l'article précité, toute autre pratique serait déjà constitutive de cybersquatting : c'est-à-dire déposer (et éventuellement exploiter) un nom de domaine sans en avoir aucun droit.
Bien évidemment, des lois et des règles contractuelles mondiales sur les dépôts de noms de domaine prévoient des procédures rapides pour ordonner le transfert de noms de domaine ainsi usurpés.

Dépôt de nom de domaine et abus de confiance

En creusant un peu plus le cas qui nous a été soumis, il apparaît nettement que le prestataire, en déposant ce nom pour lui-même, alors que son client s'attendait à ce qu'il dépose son nom de domaine pour son compte, a agi dans des conditions que le code pénal qualifie d'abus de confiance et sanctionne lourdement. L'article 314-1 prévoit en effet pour ce délit un an de prison et 375 000 € d'amende.

Dépôt de nom de domaine et violation de la propriété intellectuelle

De plus, il faudrait être très naïf pour s'imaginer que déposer un nom de domaine qui se trouve être l'exact nom de la société du client puisse être considéré comme la propriété du prestataire… C'est pourtant ce que proclame l'intéressé dans le cas présent.
Le nom commercial ou à la dénomination sociale d'une société sont des éléments protégés par la propriété intellectuelle. Déposer un nom de domaine sous ce nom sans accord du titulaire des droits constitue une violation flagrante de la propriété intellectuelle de ce nom, ce qui confirme qu'il s'agit de cybersquatting.

La responsabilité d'un professionnel toujours plus lourde

On connaît l'adage "Nul n'est censé ignorer la loi". Même si cela peut faire sourire face à la complexification du droit, cet adage n'en est pas moins le fondement essentiel d'un état de fondé sur des règles de droit applicable à tous.
Mais il se trouve que les professionnels ont, de tout temps, été plus lourdement considérés comme responsables du non-respect des règles de droit. Il ont ainsi l'obligation de connaître (et de respecter !) les lois et règlements qui s'imposent dans leur secteur d'activité. Ce qui semble assez logique, mais pourtant si peu suivi d'effet dans certains secteurs d'activité, notamment celui du développement web.

En tout état de cause, ce prestataire risque d'apprendre à ses dépens ce que coûte une pratique aussi irresponsable puisque le client est décidé à porter le litige devant la justice et à se faire indemniser du préjudice qu'il subit.
 

Didier FROCHOT