Originalité et droit d'auteur – suite à la lumière d'une récente jurisprudence

L'actualité jurisprudentielle nous conduit à revenir sur la question de l'originalité en droit d'auteur, évoquée il y a peu (notre actualité du 2 février).

Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement en date du 29 janvier dernier, vient de rejeter l'originalité de photos de bouquets de fleurs mis en ligne sur une boutique de vente et de livraison de fleurs à distance. Des photos très similaires ayant été publiées par un site concurrent, les éditeurs du premier site ont assigné en contrefaçon au motif que leurs photos étaient protégées par le droit d'auteur. Thèse contestée sur la base de l'absence d'originalité de ces images qui ne constituaient que des photographies "banales" de bouquets de fleurs proposés à la vente.

Originalité juridique ou originalité au sens courant ?

L'adjectif banal, souvent utilisé pour être opposé à original, risque fort de nous faire tomber du sens juridique au sens courant de l'originalité. En effet, que pourrait bien être une photographie "banale" dès lorsqu'il est acquis que le droit d'auteur ne porte aucun jugement de valeur esthétique sur une création pour lui accorder la qualité d'œuvre d'auteur ?

Le TGI de Paris retient donc la thèse selon laquelle le photographe, s'étant borné à cadrer chaque bouquet de fleurs, n'a pas apporté d'élément personnel à la photo. Que faire alors du choix de l'éclairage et d'autres éléments techniques de la prise de vue qui font que chaque photographe ne réalisera jamais exactement la même photo d'un même sujet ?

Et si l'on suivait la solution de ce jugement, plus aucune des photographies d'œuvres d'art pictural ne seraient protégées et, par exemple, la Réunion des musées nationaux (RMN) perdrait tous ses droits sur ses collections, sauf peut-être la propriété physique des clichés.

C'est une question encore fort débattue parmi les juristes de droit d'auteur. André Bertrand, dans son traité de droit d'auteur, suggère la distinction entre originalité et savoir-faire technique du photographe, ce qui lui permet de critiquer le courant jurisprudentiel retenant l'originalité de photos de peintures. Cette distinction, pour originale qu'elle soit — sans jeu de mot ! — ne va-t-elle pas à l'encontre de la neutralité du droit d'auteur et de l'absence de prise en compte du mérite esthétique ?

Car on ne peut nier deux constats :

  • Le photographe, par son savoir-faire technique, apporte sa personnalité au cliché, même si le but est de tendre à la photographie la plus neutre et la plus fidèle possible de la peinture ;
  • Des photographies réalisées par deux photographes différents ne rendront jamais la même image de la peinture, pour exacte et fidèle qu'elle soit, ou alors on pourrait se passer des photographes et on pourra recourir à des automates qui calculent informatiquement les meilleures conditions pour la prise de vue fidèle au tableau.

Un droit d'auteur peut en cacher un autre

Dans son argumentaire pour revendiquer l'originalité des photos, le fleuriste invoquait un certain nombre de paramètres montrant une réelle intention du photographe pour rendre le bouquet désirable par le consommateur.

Mais il invoquait également :
"La photo des pivoines représente “un bouquet romantique par la couleur rose tendre des fleurs, mais également un bouquet prestigieux du fait du nombre important de tiges”."
Ou encore :
LE bouquet de roses parfait : parfaitement rond, aucune fleur ne dépasse”.

N'est-il pas dès lors envisageable de retenir l'originalité de ces bouquets de fleurs, tout autant que celle de la photographie ? La composition florale est d'ailleurs un art reconnu et le fleuriste aurait pu se placer sur le terrain de l'originalité de ces créations et donc sur la contrefaçon des bouquets ainsi créés. À partir du moment où l'on reconnaît, en art contemporain, un droit d'auteur au créateur d'une installation, rien ne s'oppose dans le code à ce que "le choix et la disposition" des fleurs soit protégé. Rappelons que "le choix OU la disposition des matières" constitue le critère premier de qualification d'une œuvre d'auteur.

La solution retenue par le TGI de Paris dans cette affaire semble critiquable même si elle est dictée par les circonstances des faits (la concurrence parasitaire, également invoquée, n'est pas plus retenue). Sur le plan des principe de l'originalité, elle risque d'ouvrir une brèche et de remettre en cause l'absence de prise en compte du mérite esthétique.

En savoir plus

Voir la décision du TGI de Paris du 29 janvier 2016 sur le site Legalis.net :
www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4884
Et la présentation rapide que propose ce site :
www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4885
 

Didier FROCHOT