Vidéos sur un site internet : régime du droit de l'audiovisuel ?

Lorsqu'un site internet, par exemple de presse papier, met à disposition de son public de courtes vidéos sur son site, le régime du droit de l'audiovisuel ne doit-il pas primer sur celui de la communication en ligne  ?
Telle était la question posée récemment à la Cour de justice de l'Union européenne. Cette décision contribue à définir un peu plus les contours respectifs et la frontière des deux régimes juridiques : celui des "services de communication en ligne", autrement dit des sites internet, et celui des "services de médias audiovisuels".

Les faits en bref

La société éditrice du quotidien autrichien Tiroler Tageszeitung publiait en 2012 sur son site web (www.tt.com), en plus d'articles de presse, via un sous-domaine du site, de courtes vidéos durant entre 30 secondes et quelques minutes. C'est ainsi quelque 300 vidéos qui étaient offertes aux lecteur du quotidien en ligne. Les autorités autrichiennes ont alors estimé que cette partie du site était soumise au droit de l'audiovisuel, impliquant notamment, dans ce pays, une notification aux autorités, ce que n'avait pas fait le quotidien. La Cour administrative d'Autriche, saisie du litige a donc demandé une clarification à la CJUE quant à la Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2010 relative à la fourniture de services de médias audiovisuels.

La Cour, dans son arrêt du 21 octobre dernier apporte donc les précisions suivantes.

Une réglementation unique pour tout programme audiovisuel, quel que soit le support de l'offre

Tout d'abord, la Cour considère que "la mise à disposition, sur un sous-domaine du site Internet d’un journal, de vidéos de courte durée qui correspondent à de courtes séquences extraites de bulletins d’informations locales, de sport ou de divertissement relève de la notion de « programme » au sens de la directive". En d'autres termes, il n'est pas douteux que la directive doive s'appliquer à des tels contenus.
À l'appui de cette analyse, la Cour relève que, quelle que soit la durée des vidéos, celles-ci entrent en concurrence avec les médias audiovisuels à la disposition du public. La directive ayant pour objectif de soumettre à un même régime toutes les offres en concurrence, quel qu'en soit le procédé technique de diffusion, s'applique donc.

Une subtile distinction envisageable

Comme à son habitude, la Cour apporte plus de précisions.

Elle estime ainsi que "afin d’apprécier l’objet principal d’un service de mise à disposition de vidéos offert dans le cadre de la version électronique d’un journal, il convient d’examiner si ce service a un contenu et une fonction autonomes par rapport à ceux de l’activité journalistique de l’exploitant du site Internet et n’est pas seulement un complément indissociable de cette activité, notamment en raison des liens que présente l’offre audiovisuelle avec l’offre textuelle". En d'autres termes, si l'offre de vidéos est un simple "complément indissociable de l'activité journalistique de l'exploitant du site", il ne s'agit pas de l'objet principal du site.
Sur cette base, la Cour relève que le site internet d'un journal ne peut être qualifié de service de médias audiovisuels dès lors que les vidéos "sont secondaires et servent uniquement à compléter l’offre des articles de presse écrite".
Pour bien insister sur la distinction, les juges précisent que pour autant, "une section vidéo qui, dans le cadre d’un site Internet unique, remplirait les conditions pour être qualifiée de service de médias audiovisuels à la demande ne perd pas cette caractéristique pour la seule raison qu’elle est accessible à partir du site Internet d’un journal ou qu’elle est proposée dans le cadre de celui-ci".

Une question laissée à l'appréciation des juges du fond

Assez logiquement la Cour considère que cette distinction ne peut se faire qu'au vu des éléments de faits : c'est pourquoi il incombe aux juges chargés de connaître du litige au fond de trancher, sur la base de la frontière ainsi définie. Ce que le juristes français sont habitués à qualifier de "question laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond".
À titre d'exemple, les juges européens soulignent que dans le cas précis du litige en cours, il semble que "la majeure partie de ces vidéos est accessible et consultable indépendamment de la consultation des articles de la version électronique du journal" (toutes les citations sont issues du communiqué de presse de la CJUE).

Un critère distinctif frappé au coin du bon sens

Un des points forts de la décision est d'écarter toute considération purement technique, voire statutaire, comme par exemple le support technique (site web et non télédiffusion) ou le statut juridique de l'éditeur du site (organe de presse papier et non chaîne de radio ou de télévision) mais bien pragmatiquement sur le type de service offert : dès lors que des vidéos sont accessibles au public à la demande, il y a vidéo à la demande. Mais le critère distinctif essentiel est bien connu en droit : celui du principal et/ou de l'accessoire. Si les vidéos sont l'accessoire de la publication papier, le centre de gravité juridique reste du côté du papier, donc du site internet stricto sensu. Si les vidéos constituent une offre autonome, au point d'en devenir un nouveau service en soi, la réglementation sur les services de médias audiovisuels s'applique, afin de respecter l'égalité de droit avec tout autre service de vidéo à la demande.

C'est clair et logique, donc compréhensible et admissible par tous.

En savoir plus

Lire le communiqué de presse de la Cour en date du 21 octobre (pdf, 214 ko) :
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-10/cp150127fr.pdf  
Voir l'arrêt lui-même sur le site de la CJUE :
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;?text=&docid=170123&pageIndex=0&doclang=FR
Et sur Eur-Lex :
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:62014CJ0347&qid=1447249405774

Didier FROCHOT