Open data versus Greffes des tribunaux de commerce

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Le projet de Loi "pour la croissance et l'activité" déjà surnommé "loi Macron", du nom du ministre qui en est le porteur au sein du Gouvernement, bouscule comme on le sait un certain nombre de situations établies, toujours difficiles à abandonner dans un pays où pourtant, à ce qu'il paraît, on a aboli les privilèges par une chaude nuit d'été de 1789…

De la charge des greffes à Infogreffe

Parmi les situations établies, figure la charge des greffiers de tribunaux de commerce qui, par une tradition de longue date, se sont investis dans la tenue du Registre du commerce et des sociétés (RCS) censé enregistrer toutes les opérations importantes dans l'activité des commerçants ou des sociétés commerciales (et plus récemment des sociétés civiles également) : création, dépôt des statuts, publication des comptes annuels obligatoires, PV d'assemblées générales extraordinaires, actes de fusions, scissions, liquidations, etc.
L'ensemble est regroupé au niveau national dans le RNCS (Registre national…) Dans le cadre de l'informatisation de ce registre, les greffes de commerce se sont constitués en groupement (GIE) sous le nom d'Infogreffe. C'est aussi sous ce nom que le grand public connaît le site hébergeant cette base de données des entreprises françaises (Alsace-Moselle partiellement exclue pour des raisons historiques) qui permet de retrouver toute entreprise ou société commerciale. Les sites privés du genre de Société.com, Vérif, Managéo et autres n'étant que des plateformes ayant racheté les données d'Infogreffe, les rediffusant et les commarcialisant.
Même sur Infogreffe, pour accéder aux actes ou aux comptes, voire au extraits Kbis (équivalent des extraits de naissance ou de la fiche d'état civil pour une société), il faut payer un droit.

La réutilisation libre et gratuite des informations publiques

Mais la tendance est aujourd'hui à l'accès public et à la réutilisation gratuite de toutes les informations publiques. Or les données concernant les entreprises (opérateurs économiques dans le jargon des technocrates) sont à n'en pas douter des informations et des données publiques.
Et les normes européennes poussent à l'ouverture libre et gratuite la plus large possible. C'est dire que les charges privées des greffes de commerce semblent avoir vécu.

L'open data pour les données des entreprises

La loi Macron prévoit donc ce bouleversement parmi quelques autres. Contre l'avis des greffes des tribunaux de commerce qui ont récemment manifesté par une grève de leurs services, cette partie de la loi a été votée en première lecture devant l'Assemblée nationale au cours des séances publiques du 12 janvier au 6 février 2015 (il n'y aura pas 2 lectures puisque la procédure accélérée est engagée : on passera donc de la première lecture devant chaque assemblée à la dernière lecture après conciliation au travers de la Commission mixte paritaire).
Un texte provisoire, qui n'est pas encore un "texte adopté" en première lecture par l'Assemblée, est en ligne sur le site de celle-ci. Il permet de voir que si le texte n'est pas amendé par le Sénat, l'article L.123-6 du code de commerce recevra quelques nouveaux alinéas prévoyant la transmission par les greffes de commerce, "sans frais" à l'INPI (Institut national de la propriété industrielle) les données qui ont été collectées sous leur autorité (futur L.123-6 1°, al.2). Leur réutilisation est expressément prévue dans un alinéa 3.
Un complément est également apporté au Code de la propriété intellectuelle, notamment à propos du rôle de l'INPI (article L.411-1, 2° in fine, où l'on pourra sans doute bientôt lire : "il [l'INPI] assure la diffusion et la mise à disposition gratuite du public, à des fins de réutilisation, des informations techniques, commerciales et financières qui sont contenues dans le registre national du commerce et des sociétés et dans les instruments centralisés de publicité légale, selon des modalités fixées par décret" (article 19 du projet de loi Macron).

Affaire à suivre donc, mais il est pratiquement certain qu'on pourra bientôt disposer des données commerciales et financières des entreprises de manière aussi libre et gratuite que les informations juridiques et juridictionnelles françaises.

En savoir plus

Voir le dossier législatif de la Loi pour la croissance et l'activité, sur le site de l'Assemblée nationale :
www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/croissance_activite.asp
Voir le projet de loi tel que déposé par le Gouvernement :
www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl2447.asp

Voir le texte provisoire, issu des débats clos au 6 février dernier (pdf, 127 pages, 362 Ko) :
www.assemblee-nationale.fr/14/ta-pdf/2498-p.pdf

Voir également notre publication sur la Réutilisation des informations publiques : aspects juridiques
 

Didier FROCHOT