Nous n’apprendrons plus comme avant – 1

Le dernier numéro du mensuel Philosophie Magazine consacre un dossier au thème « Pourquoi nous n'apprendrons plus comme avant ». En effet, les modes d’apprentissage, y compris à l’école, ont ou vont complètement changer face au phénomène d’accès libre, gratuit — on aimerait ajouter « anarchique », mais au meilleur sens du terme : sans idée de direction des uns sur les autres — de l’information et surtout de la connaissance.
Le choix de ce thème par le magazine précité est pour nous l’occasion de porter notre regard sur quelques-unes des mutations fondamentales du rapport à l’information et à la connaissance provoquées par l’irruption des technologies de l’information et spécialement d’Internet.

Il nous semble en effet que deux novations essentielles ont substantiellement modifié ces rapports de l’homme à l’information et à la connaissance : l’hypertexte et l’image.

Nous nous arrêtons aujourd’hui à l’hypertexte. Une prochaine actualité reviendra sur l’image.

L’hypertexte : de la pensée hiérarchisée à la pensée par association d’idées

Dès que les premiers sites à la norme HTML ont commencé à inonder le tout nouveau Web, dans les années 1993-94, offrant, avec leurs liens hypertextes, la possibilité de passer d’un concept à l’autre par association d’idées et non plus de prendre connaissance d’un concept par voie hiérarchisée et de l’approfondir, la question nous est tout de suite venue à l’esprit : le lien hypertexte, imaginé par le visionnaire Vannevar Bush, en 1945, comme l’aboutissement de la propension de l’esprit humain à penser, non par structuration hiérarchique, mais par association d’idées, allait-il favoriser cette forme de pensée, naturelle de l’homme selon Bush ?

Il serait présomptueux de vouloir répondre à cette question, surtout dans les quelques lignes de réflexion professionnelle proposées ici.
En revanche, il est certain que dans les faits, se sont développés parallèlement deux modes de traitement de — et partant, d’accès à — la connaissance :

  • La structuration hiérarchisée de la pensée ;
  • La présentation hypertextuelle de celle-ci.

La première correspond à l’antique apprentissage, structuré verticalement, au mode de pensée selon des plans de développement classiques : deux parties, deux sous-parties... C’est le mode (et même le moule) de production de la pensée scolaire et universitaire occidental.

Le second correspondrait selon V. Bush au penchant naturel de l’esprit humain à établir des connexions d’un concept à l’autre par association d’idées, gage de rapidité de déduction et de recoupements.
C’est le mode de pistage de la pensée utilisé par les liens hypertextes, plus précisément les liens dits conceptuels, c’est-à-dire ceux qui sous-tendent cet appel à une association d’idées suggérée par un mot, une expression, dans un texte, d’où le terme d’hypertexte, forgé par Ted Nelson en 1965, vingt ans après la vision de Bush.

Un nouveau mode d'apprentissage

Cette nouvelle forme de navigation dans la pensée a pris son essor grâce à la vulgarisation de l’hypertexte sur le Web. Pour les esprits bien construits et structurés verticalement, ce fut une dimension de navigation intellectuelle de plus, une source d’enrichissement à la fois des modes de pensée et d’accès à la connaissance.
C’est en cela que l’hypertexte a substantiellement changé, en pratique, le monde de la pensée. C’est en cela qu’avec juste raison il est possible de proclamer qu’on ne pourra plus apprendre comme avant.

Richesse ou danger ?

Pour les très jeunes générations, non encore structurées verticalement, la question peut se poser de savoir si la navigation de concept proche en concept proche, est une vraie richesse, ou au contraire un  frein à la structuration en profondeur de leur personnalité. C’est en tout cas la crainte de nombreux adultes encadrant les adolescents livrés à eux-mêmes sur Internet, notamment les responsables des espaces publics numériques (EPN). Pour nombre de jeunes, ce zapping d’une page à l’autre, d’un concept à peine défini et assimilé à un autre proche, les poussent à rester à la surface des phénomènes sans jamais les approfondir.

L'idéal serait donc de veiller à ce que toute tête bien faite soit à la fois formée à la pensée verticale et structurée et à la pensée par association qui semblent bien être les deux pôles de l'intelligence, prise ici dans son sens anglais autant que français.

En savoir plus

Voir sur le site de Philosophie Magazine, la rpésentation du dossier cité :
www.philomag.com/fiche-dossiers.php?id=127 

Voir la Prophétie de Bush publiée sur ce site.
 

Didier FROCHOT